lundi 7 janvier 2008

William Echickson

William Echickson
Pourriture noble
Une révolution dans les vins de Bordeaux
Traduit de l'américain par Christophe Mercier



William Echickson est l'auteur de La quête des étoiles (Hachette, 1995), ouvrage consacré à Bernard Loiseau. Il vit à Bruxelles et est rédacteur en chef de Dow Jones Newshires, et " critique de vin " pour Wall Street Journal Europe".

Préface


J'avais quinze ans lorsque je suis venu en France pour la première fois. C'était en 1975. Mes parents m'avaient inscrit à un stage d'été. Une famille française m'a accueilli pendant un mois à Arcachon, près de Bordeaux, là où de nombreux viticulteurs et négociants en vins ont leurs résidences secondaires.
Avant de traverser l'Atlantique, je m'étais préparé dans le Massachusetts, en compagnie d'autres élèves de troisième, pendant une semaine éreintante pour appréhender la culture française. On bataillait avec le subjonctif. On suivait Napoléon d'Austerlitz à Moscou. On tentait de décrypter, ligne après ligne, des écrits de Flaubert ou de Camus. Tels des soldats faisant leurs classes, nous nous entraînions en vue de l'invasion imminente d'un pays étranger. Nos professeurs nous alertaient sur les " différences culturelles ". L'un d'eux nous conseilla d'emporter dans nos bagages un grand flacon de déodorant. En France, l'eau chaude coûte cher, et les critères de propreté ne sont pas les mêmes.
" Les Français prennent une seule douche par semaine ", nous avait prévenus le professeur.
Ainsi donc, les premiers jours à Arcachon, je n'osais me laver que le visage. Je commençais à sentir mauvais. La famille Velly, qui m'accueillait, ne tarda pas à se poser des questions sur les " différences culturelles " américaines. Anne, la fille de dix-sept ans, finit par me demander pourquoi je ne me lavais pas. Quand je lui racontai ce que nous avait dit notre professeur, elle éclata de rire. " Moi, je prends une douche par jour ", m'a-t-elle assuré.
Apparemment, il ne s'agissait pas d'un pays " primitif ", et j'avais beaucoup à apprendre. Les Velly préconisaient la joie de vivre, et ils avaient des recettes bien à eux. Les premiers ingrédients en étaient évidemment la nourriture et la boisson. Micheline Velly - je l'appelais " Madame Velly " - gérait de façon merveilleuse la cuisine. Elle prenait des tomates toutes simples, y ajoutait quelques oignons et les assaisonnait d'une délicieuse vinaigrette, les transformant ainsi en quelque chose d'extraordinaire. Paul Velly, " Monsieur Velly ", lui, adorait le vin. Avant de déjeuner, il descendait à la cave et en remontait avec une bouteille de graves - " mon petit graves ", disait-il.
Le seul vin auquel j'avais goûté auparavant était le Manischewitz doux, à l'occasion des fêtes juives. Lorsque Paul Velly goûtait l'un de ses vins, il m'en proposait toujours une gorgée. Son graves d'un rouge chaud, couleur rubis, était délicieux, il accompagnait très bien ces longs repas où l'on prenait son temps. Le vin suscitait des conversations animées. On évoquait des sujets sérieux, comme le régime franquiste en Espagne, qui devait prendre fin avec la mort de Franco, quelques mois plus tard, ou la façon dont les indépendantistes basques faisaient exploser des bombes à la frontière franco-espagnole. Et nous riions de choses simples, des bains de minuit dans l'océan. Mon français progressait à vue d'œil.
L'anniversaire de " Monsieur Velly " tombait le 4 juillet. Je le taquinais, lui disant qu'il fêtait l'indépendance américaine. Ce jour-là, nous nous sommes tous réunis chez tante Yvonne pour un déjeuner de fête. Je ne me souviens plus du menu, hormis le dessert, une fine galette fourrée de crème pâtissière, et qui s'appelait, ce qui n'était que justice, un succès. Je n'avais jamais rien goûté d'aussi bon. Nous sommes restés quatre heures à table, puis nous avons débarrassé et servi le café. Puis nous nous sommes baignés en fin d'après-midi, et sommes allés prendre un verre au bistrot du coin. Quelle fête d'Indépendance !
Mon séjour à Arcachon prévoyait trois excursions avec le groupe de lycéens américains. La première nous mena dans une fabrique de papier. Nulle. La deuxième nous conduisit à Bordeaux, où nous avons visité l'élégant Grand-Théâtre, qui date du XVIIIe siècle. Plus intéressante, la troisième excursion eut lieu dans la région de Sauternes, où l'on élabore un vin blanc liquoreux, Château Yquem.

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