Pour éviter l’expulsion de ses mitrons français, une petite ville du New Hampshire se mobilise.
Il y a huit ans, lorsqu’une boulangerie* a ouvert dans la petite ville déshéritée de Colebrook (New Hampshire), non loin de la frontière canadienne, personne ne donnait plus de quelques jours de survie à l’établissement. Mais Le Rendez-vous, avec ses luisantes poutres apparentes, sa petite musique de Vivaldi, ses canapés moelleux et ses vieux coucous, n’a pas tardé à attirer les gens du cru mais aussi les visiteurs qui, tous les après-midi, se sont arraché croissants aux amandes et tartes aux pommes.
Aussi, la nouvelle, qui s’est répandue en avril, de la disparition prochaine de la boulangerie – non pas à cause de la crise économique, mais parce que l’ambassade des Etats-Unis en France refusait de renouveler le visa de la propriétaire – a-t-elle soulevé un tollé. Les bureaucrates de Washington, disait-on à Colebrook, avaient décidé que l’affaire ne rapportait pas assez pour justifier une décision favorable. Toute la population s’est donc mobilisée. “Nous avons perdu assez d’activités comme ça”, a protesté Steve Colby, 71 ans, mécanicien à la retraite. “Ça suffit !”
Les habitants de Colebrook ont alors écrit à l’ambassade américaine à Paris. Ils ont fait pression sur leurs élus pour qu’ils soutiennent leur cause. Ils ont signé par centaines une pétition et l’ont envoyée aux diplomates en poste à des milliers de kilomètres de là. Leur argument : la boulangerie ne gagne peut-être pas grand-chose, mais elle apporte beaucoup à la population. C’est un lieu de rencontres qui, en plus, prouve qu’une petite entreprise aussi inattendue qu’une boulangerie française peut prospérer dans la ville.
“C’est incroyable, ce qu’ils ont fait pour moi”, se réjouit Verlaine Daeron, 51 ans, ancienne infirmière reconvertie dans la boulangerie. Son dossier de demande de visa à l’ambassade américaine à Paris contenait 1 kilo de lettres de gens de la région. “C’est vraiment une ville très, très sympa.” Le 20 mai, alors que courait la rumeur d’une bonne nouvelle et que des personnes inquiètes se rassemblaient au Rendez-vous, Marc Ounis, l’associé de Mme Daeron, souriant, les bras croisés sur sa tenue blanche de boulanger, leur a donné la réponse qu’ils attendaient : la boulangerie resterait ouverte. “Yeah”, s’est exclamée Linda Tase, sautant de joie et battant des mains, “j’avais tellement peur que vous partiez !”
Dans un entretien téléphonique avec sa mère, qui vit en banlieue parisienne, Verlaine Daeron s’est dite abasourdie par le large soutien dont bénéficie sa boulangerie. Qu’aurait-elle fait si elle n’avait pas obtenu le visa ? “Je l’ai, tout va pour le mieux.” Elle espère retourner dans les tout prochains jours à Colebrook, dans l’appartement qu’elle partageait avec Ounis au-dessus de la boutique, afin de pouvoir de nouveau confectionner ses madeleines au chocolat.
* En français dans le texte.
Boston Globe