mercredi 15 janvier 2014

Non, la France n’est pas un pays en déclin

Quelle mouche a donc piqué Janine di Giovanni ? La journaliste porte un regard réducteur et caricatural sur la France, qui n’est pas sans rappeler une certaine presse tabloïde anglophone. Son propos est nourri d’anecdotes, de clichés et d’approximations.

Cette forme de "French bashing" étonne de la part d’une journaliste dont je sais l’attachement à notre pays. Pour preuve, elle a choisi d’y vivre. J’aimerais alors lui apporter quelques éclairages basés sur des données chiffrées plutôt que des ressentis. Les chefs d’entreprises américains que j’ai rencontrés lors de mon dernier déplacement aux Etats-Unis ont choisi d’investir en France car ils y trouvent un environnement favorable et stable : un personnel qualifié, des infrastructures modernes, des capacités d’innovation et une bonne qualité de vie pour leurs collaborateurs. Ce n’est donc pas un hasard si la France reste le quatrième pays au monde pour sa capacité à attirer des investissements étrangers.
Newsweek prétend que la France verrait ses forces vives la quitter. Rien n’est plus faux. Pour preuve, le nombre de nos compatriotes qui s’expatrient, de manière provisoire ou définitive, pour des raisons professionnelles ou personnelles, décélère. On est passé de + 4 % par an pour les dix dernières années à + 1,5 % en moyenne pour 2012 et 2013. Convaincus que la mobilité internationale constitue une chance, les Français continuent à saisir les opportunités qui s’offrent à eux à l’étranger. Ils reviennent cependant, pour la grande majorité d’entre eux, forts d’une expérience et de nouvelles compétences. Beaucoup brillent d’ailleurs par leurs talents dans des domaines très variés. Ils renforcent l’image positive d’une France innovante, créatrice, moderne, reconnue. Ceux qui réussissent sont nombreux et sont autant de relais de notre langue, culture mais aussi savoir-faire, services et biens. C’est le cas du nouveau propriétaire de Newsweek Etienne Uzac.
Ce média en ligne estime que la France est un pays en déclin. Elle est pourtant la deuxième économie européenne, la cinquième au monde, le sixième exportateur mondial de biens. Elle est au premier rang européen pour l’industrie aéronautique et le nucléaire, au second dans la chimie, au troisième dans l’agroalimentaire. Elle est la première destination touristique mondiale (83 millions de touristes), le premier pays européen créateur d’entreprises (550 000 en 2012), le deuxième pays au monde pour la qualité de vie, le quatrième pour la productivité horaire de sa main-d’oeuvre, dont le coût est inférieur à celui observé aux Pays-Bas, aux Etats-Unis ou en Allemagne (KPMG Choix concurrentiels 2012).
La France ne serait plus attractive. Elle est la première destination des investissements étrangers dans l’industrie et dans la logistique, le premier pays d’accueil des investissements américains créateurs d’emplois, mais aussi pour le soutien public à la recherche et développement. Elle compte plus de 20 000 entreprises étrangères qui emploient 2 millions de personnes (13,5% des salariés), dont un quart pour le seul secteur industriel qui représente 33 % des exportations et 29 % de la recherche et développement. Elle est aussi une destination très prisée par les étudiants étrangers.
La France n’offrirait plus de perspective d’avenir. Ses infrastructures et ses services publics sont sans égal dans le monde. Elle affiche un taux de pénétration du haut débit (35,5%) supérieur à l’Allemagne (33,8%) et au Royaume Uni (33,6 %). Notre pays dispose du premier réseau routier d’Europe (1 million de kilomètres) et occupe la deuxième place pour les lignes de chemin de fer à grande vitesse. En matière d’innovation, la France se classe au sixième rang mondial pour le dépôt de brevets. Je n’ignore pas pour autant les difficultés de notre pays notamment dans le domaine de l’emploi.(...)
Autant de faits qui éclairent d’un autre jour la réalité économique et sociale de la France, loin des pamphlets simplistes et biaisé que certains nous donnent à lire.

http://www.liberation.fr/economie/2014/01/14/non-la-france-n-est-pas-un-pays-en-declin_972771

lundi 13 janvier 2014

LE «PAW-PAW FRENCH», UN DIALECTE FRANÇAIS EN VOIE DE DISPARITION AUX ETATS-UNIS

Il n’y a pas qu’au Québec et en Louisiane que les Américains parlent français. Au fin fond du Missouri, un bastion de la francophonie, après avoir survécu pendant près de trois siècles, est en train de s’éteindre dans l’indifférence, comme le rapporte Al Jazeera America dans un article du 9 janvier 2014.
Le reportage d’Al Jazeera est centré sur le village d’Old Mines, Missouri (littéralement «vieilles mines», mais baptisée «la Vieille Mine» sur un panneau en français planté à son entrée), situé sur l’ancien territoire de la Louisiane française, laquelle était plus étendue que la Louisiane contemporaine, et englobait notamment les Etats actuels de l’Indiana, du Missouri et de l’Illinois en une région autrefois appelée «Pays des Illinois». Comme l’explique cette rétrospective de Geocurrents«Dans les écoles du Mid-Ouest, Le Pays des Illinois n’est guère plus (et souvent moins) qu’une mention au pied des pages des cours d’histoire».
publicité
Bien que la Louisiane française ait été vendue aux Etats-Unis par Bonaparte en 1803, les colons de la Vieille Mine arrivés dès la fin du XVIIe siècle «n’ont jamais quitté ce coin de l’Est du Missouri», et leurs descendants étaient encore dans les années 1980 «des centaines […] voire plus d’un millier» à parler un dialecte unique, le «paw-paw French» ou français du Missouri, comme le raconte Al Jazeera.
Parmi «peut-être la douzaine de personnes encore en vie sachant parler en paw-paw French», se trouve le musicien Dennis Stroughmatt, qui décrit le paw-paw French comme une passerelle entre le Français du Québec et celui de Louisiane, et déplore la perte d’un patrimoine très ancien:
«“La francophonie est en train de perdre son lien avec les années 1600” explique Stroughmatt. “Dans l’essentiel, le français parlé à Old Mines est un français normand-breton. Ça nous renvoie directement au Moyen-Âge, à la période médiévale. C’est ça qui sera perdu.”»
Que s’est-il passé depuis vingt ans, quand la Vieille Mine«semblait –et sonnait– très différente d’aujourd’hui »? Natalie Villmer, une habitante issue d’une des plus anciennes familles du village, raconte à Al Jazeera que le français que parlaient encore ses parents ne lui a pas été transmis: à leur époque, «parler le paw-paw French était devenu synonyme d’être ignorant, peu instruit, arriéré.»Ce qui n’a rien de surprenant selon le professeur Scott Gossett, chercheur en littérature francophone à l’université du Missouri:
«[Gossett] explique que lorsque les petites communautés comme Old Mines se sont industrialisées, il n’y avait plus besoin de parler français, et apprendre l’anglais est devenu une question de survie. (…) “Ce n’est que récemment, dans la seconde moitié du siècle à peu près, qu’on a commencé à voir la langue comme un atout et non un handicap.”»
Le reportage d’Al Jazeera inclut deux enregistrements sonores de ce langage en voie d’extinction: un chant traditionnel, «la guignolée», entonné par Natalie Villmer, et quelques mots en paw-paw French de Dennis Stroughmatt, dont vous pouvez également apprécier l’accent caractéristique dans la vidéo ci-dessous:




http://www.slate.fr/monde/82199/francais-missouri-paw-paw-french-dialecte-menace

mercredi 8 janvier 2014

What Meanings of All 50 State Names

What Meanings of All 50 State Names

Here is all 50 state names meaning and how the name originated:
Alabama: From the Choctaw word albah amo meaning "thicket-clearers" or "plant-cutters."
Alaska: From the Aleut word alaxsxaq, from Russian Аляска, meaning "the object toward which the action of the sea is directed."
Arizona: From the O'odham (a Uto-Aztecan language) word ali sona-g via Spanish Arizonac meaning "good oaks."
Arkansas: From a French pronunciation of an Algonquin name for the Quapaw people: akansa. This word, meaning either "downriver people" or “people of the south wind," comes from the Algonquin prefix -a plus the Siouan word kká:ze for a group of tribes including the Quapaw.
California: In his popular novel "Las sergas de Esplandián" published in 1510, writer Garci Ordóñez de Montalvo named an imaginary realm California. Spanish explorers of the New World could have mistaken Baja California as the mythical place. Where Montalvo learned the name and its meaning remain a mystery.
Colorado: Named for the Rio Colorado (Colorado River), which in Spanish means "ruddy" or "reddish."
Connecticut: Named for the Connecticut River, which stems from Eastern Algonquian, possibly Mohican, quinnitukqut, meaning "at the long tidal river."
Delaware: Named for the Delaware Bay, named after Baron De la Warr (Thomas West, 1577 – 1618), the first English governor of Virginia. His surname ultimately comes from de la werre, meaning "of the war" in Old French.
Florida: From Spanish Pascua florida meaning "flowering Easter." Spanish explorers discovered the area on Palm Sunday in 1513. The state name also relates to the English word florid, an adjective meaning "strikingly beautiful," from Latin floridus.
Georgia: Named for King George II of Great Britain. His name originates with Latin Georgius, from Greek Georgos, meaning farmer, from ge (earth) + ergon (work).
Hawaii: From Hawaiian Hawai'i, from Proto-Polynesian hawaiki, thought to mean "place of the Gods." Originally named the Sandwich Islands by James Cook in the late 1700s.
Idaho: Originally applied to the territory now part of eastern Colorado, from the Kiowa-Apache (Athabaskan) word idaahe, meaning "enemy," a name given by the Comanches.
Illinois: From the French spelling ilinwe of the Algonquian's name for themselves Inoca, also written Ilinouek, from Old Ottawa for "ordinary speaker."
Indiana: From the English word Indian + -ana, a Latin suffix, roughly meaning "land of the Indians." Thinking they had reached the South Indes, explorers mistakenly called native inhabitants of the Americas Indians. And India comes from the same Latin word, from the same Greek word, meaning "region of the Indus River."
Iowa: Named for the natives of the Chiwere branch of the Aiouan family, from Dakota ayuxba, meaning "sleepy ones."
Kansas: Named for the Kansa tribe, natively called kká:ze, meaning "people of the south wind." Despite having the same etymological root as Arkansas, Kansas has a different pronunciation.
Kentucky: Named for the Kentucky River, from Shawnee or Wyandot language, meaning "on the meadow" (also "at the field" in Seneca).
Louisiana: Named after Louis XIV of France. When René-Robert Cavelier, Sieur de La Salle claimed the territory for France in 1682, he named it La Louisiane, meaning "Land of Louis." Louis stems from Old French Loois, from Medieval Latin Ludovicus, a changed version of Old High Germany Hluodwig, meaning "famous in war."
Maine: Uncertain origins, potentially named for the French province of Maine, named for the river of Gaulish, an extinct Celtic language, origin.
Maryland: Named for Henrietta Maria, wife of English King Charles I. Mary originally comes from Hebrew Miryam, the sister of Moses.
Massachusetts: From Algonquian Massachusett, a name for the native people who lived around the bay, meaning "at the large hill," in reference to Great Blue Hill, southwest of Boston.
Michigan: Named for Lake Michigan, which stems from a French spelling of Old Ojibwa (Algonquian) meshi-gami, meaning "big lake."
Minnesota: Named for the river, from Dakota (Siouan) mnisota, meaning "cloudy water, milky water,"
Mississippi: Named for the river, from French variation of Algonquian Ojibwa meshi-ziibi, meaning "big river."
Missouri: Named for a group of native peoples among Chiwere (Siouan) tribes, from an Algonquian word, likely wimihsoorita, meaning "people of the big (or wood) canoes."
Montana: From the Spanish word montaña, meaning "mountain, which stems from Latin mons, montis. U.S. Rep. James H. Ashley of Ohio proposed the name in 1864.
Nebraska: From a native Siouan name for the Platte River, either Omaha ni braska or Oto ni brathge, both meaning "water flat."
Nevada: Named for the western boundary of the Sierra Nevada mountain range, meaning "snowy mountains" in Spanish.
New Hampshire: Named for the county of Hampshire in England, which was named for city of Southampton. Southampton was known in Old English as Hamtun, meaning "village-town." The surrounding area (or scīr) became known as Hamtunscīr.
New Jersey: Named by one of the state's proprietors, Sir George Carteret, for his home, the Channel island of Jersey, a bastardization of the Latin Caesarea, the Roman name for the island.
New Mexico: From Spanish Nuevo Mexico, from Nahuatl (Aztecan) mexihco, the name of the ancient Aztec capital.
New York: Named in honor of the Duke of York and Albany, the future James II. York comes from Old English Eoforwic, earlier Eborakon, an ancient Celtic name probably meaning "Yew-Tree Estate."
North Carolina: Both Carolinas were named for King Charles II. The proper form of Charles in Latin is Carolus, and the division into north and south originated in 1710. In latin, Carolus is a strong form of the pronoun "he" and translates in many related languages as a "free or strong" man.
North Dakota: Both Dakotas stem from the name of a group of native peoples from the Plains states, from Dakota dakhota, meaning "friendly" (often translated as "allies").
Ohio: Named for the Ohio River, from Seneca (Iroquoian) ohi:yo', meaning "good river."
Oklahoma: From a Choctaw word, meaning "red people," which breaks down as okla "nation, people" + homma "red." Choctaw scholar Allen Wright, later principal chief of the Choctaw Nation, coined the word.
Oregon: Uncertain origins, potentially from Algonquin.
Pennsylvania: Named, not for William Penn, the state's proprietor, but for his late father, Admiral William Penn (1621-1670) after suggestion from Charles II. The name  literally means "Penn's Woods," a hybrid formed from the surname Penn and Latin sylvania.
Rhode Island: It is thought that Dutch explorer Adrian Block named modern Block Island (a part of Rhode Island) Roodt Eylandt, meaning "red island" for the cliffs. English settlers later extended the name to the mainland, and the island became Block Island for differentiation. An alternate theory is that Italian explorer Giovanni da Verrazzano gave it the name in 1524 based on an apparent similarity to the island of Rhodes.
South Carolina: See North Carolina.
South Dakota: See North Dakota.
Tennessee: From Cherokee (Iroquoian) village name ta'nasi' of unknown origin.
Texas: From Spanish Tejas, earlier pronounced "ta-shas;" originally an ethnic name, from Caddo (the language of an eastern Texas Indian tribe) taysha meaning "friends, allies."
Utah: From Spanish yuta, name of the indigenous Uto-Aztecan people of the Great Basin; perhaps from Western Apache (Athabaskan) yudah, meaning "high" (in reference to living in the mountains).
Vermont: Based on French words for "Green Mountain," mont vert.
Virginia: A Latinized name for Elizabeth I, the Virgin Queen.
Washington: Named for President George Washington (1732-1799). The surname Washington means "estate of a man named Wassa" in Old English.
West Virginia: See Virginia. West Virginia split from confederate Virginia and officially joined the Union as a seperate state in 1863.
Wisconsin: Uncertain origins but likely from a Miami word Meskonsing, meaning "it lies red"; misspelled Mescousing by the French, and later corrupted to Ouisconsin. Quarries in Wisconsin often contain red flint.
Wyoming: From Munsee Delaware (Algonquian) chwewamink, meaning "at the big river flat."

http://www.likecool.com/What_Meanings_of_All_50_State_Names--Other--Gear.html

mardi 7 janvier 2014

"Tout n'est pas si pourri en France"

Un journaliste correspondant en France de plusieurs médias néerlandais répond à l'article polémique "La chute de la France" du magazine américain Newsweek.

Comme Janine di Giovanni (l'auteur de l'article "La Chute de la France"), je suis un journaliste étranger vivant à Paris depuis plus d'une décennie. Je sympathise donc avec ses souffrances. Et comme Janine, je me livre régulièrement à un certain French bashing. À cet égard, je suis devenu aussi parisien que les Parisiens que je déteste tant — et que j'aime tant. Cependant, tout n'est pas si pourri en France. L'article est écrit depuis le point de vue de l'élégant 6ème arrondissement, probablement l'un des quartiers les plus chics d'Europe et l'équivalent du code postal 10065 de New York. Surplombant le jardin du Luxembourg, di Giovanni note qu'un demi-litre de lait coûte 4 $.

Comme tout bon journaliste, j'ai vérifié ce matin le tarif du lait en vigueur dans un magasin local. En effet, un litre dans un supermarché dans le 13e arrondissement coûte 1,25 €, ou 1,70 $ selon la parité du jour. Même pas un quart de ce que cela coûte selon di Giovanni ! Cela veut dire que soit di Giovanni n'achète jamais de lait, soit elle se fait arnaquer par sa banque sur le taux de change lors de ses retraits en euros dans la Ville Lumière. Bien que le jardin du Luxembourg se trouve à seulement quinze minutes de marche de mon appartement, elle et moi vivons dans deux mondes totalement différents.

Elitisme

Di Giovanni a la chance de scolariser son enfant dans l'une des institutions les plus élitistes du pays : l'Ecole Alsacienne. C'est son droit, bien sûr. Mais cette école et une poignée d'autres conduisent presque systématiquement à une admission à l'une de ces Grandes Ecoles que di Giovanni déteste tellement. Par ailleurs, je connais bien ce quartier. En face de l'école du fils de Janine se trouve un impressionnant bâtiment en brique rouge. C'est la fac d'histoire de l'art de la Sorbonne, où j'ai eu le plaisir d'obtenir une maîtrise. Les frais de scolarité étaient si bas, que je ne me souviens même plus du montant.

Je suis sûr que c'était inférieur à 200 $ par an (ou l'équivalent de 25 litres de lait de di Giovanni). D'accord, les bâtiments de la Sorbonne étaient un peu usés, mais pour ce montant dérisoire, j'ai pu suivre des cours d'une grande qualité, sans parler encore de l'occasionnel "wow" et des autres expressions d'admiration au cours des dîners avec mes amis de l'Ivy League (Les frais de scolarité ont un peu augmenté depuis, mais pas beaucoup).

Quand j'étudiais dans le quartier de di Giovanni, je buvais mon café dans un bar qui servait aussi de QG aux parents bien habillés habitant les environs. Tous les matins, après avoir accompagné leurs enfants à l'école, ils venaient y siroter leur petit crème tout en discutant de la façon dont ils allaient dépenser leur argent le reste de la journée.

Un matin de novembre 2005, le mois des émeutes dans les banlieues, je ne pu m'empêcher d'écouter la conversation tenue à la table d'à côté par quatre femmes françaises assez connues : un ancien top model, une styliste et deux actrices. Alors que les chaînes d'information du monde entier diffusaient les images (exagérées) d'un pays à feu et à sang, elles avaient d'autres préoccupations en tête. A savoir : "Allons-nous à Prada Saint-Germain, ou Prada Saint-Honoré ?" Verbatim ! J’étais tellement stupéfait par leur vision du monde, que je n'ai jamais oublié cette phrase. C'est dans ce quartier parfois situé aux antipodes de la réalité que di Giovanni vit.

Impôts

Autre sujet où di Giovanni s'égare : la question des impôts. Selon la journaliste, "en France, un grand nombre paie plus de 70%". En réalité, il y en a pas beaucoup - et probablement personne en France - qui paient plus de 70% d'impôt sur le revenu. En fait, malgré l'idée reçue, l'impôt sur le revenu en France n'est pas très élevé par rapport aux autres Etats-membres de l'UE. L'année dernière, par exemple, j'ai payé la somme astronomique de 26%, ce qui est exactement la moitié (!) de ce que j'aurais dû payer si j'étais resté dans le pays où je suis né, aux Pays-Bas.

Di Giovanni marque un point en mentionnant les nombreuses personnes talentueuses qui ont quitté la France et le propriétaire français deNewsweek, Etienne Uzac, en fait partie. Mais citer Christophe de Margerie, le PDG de Total, comme un "visionnaire des affaires" est assez ironique. En 2011, de Margerie a co-signé une lettre demandant au gouvernement d'augmenter les impôts pour les riches comme lui.

Et même si les Français ne sont guère enthousiastes pour ce qu'ils appellent les entrepreneurs, de nombreux hommes et femmes restent ici. Prenez Xavier Niel [actionnaire du groupe Le Monde, dont
Courrier international fait partie] par exemple, ou Mercedes Erra ou encore David Guetta. Et même s'il n'y a pas un "Richard Branson de la France", peut-être que Janine pourrait expliquer pourquoi en 2012 la France était le 3ème plus grand récepteur d'investissements directs étrangers dans le monde, juste après les Etats-Unis et la Chine.

Fromages qui puent

Ce bon score s'explique en partie par les généreux crédits d'impôt pour la recherche et le développement, mais probablement aussi en raison de la qualité des écoles, de l'excellente infrastructure et, surtout, de la nourriture.

Je suis d'accord avec di Giovanni quand elle dit qu'il faudrait améliorer beaucoup de choses dans ce Fallen Country. Il est vrai que leurs fromages puent (enfin, ils ont une certain odeur) et que leurs voitures rouillent. Il est aussi vrai que les Français râlent beaucoup et qu'ils ont trop peur du risque. Cela ne leur ferait certainement pas de mal d'être davantage ouverts d'esprit.

Mais la chose la plus énervante est sans doute que tous les étrangers vivant en France généralisent trop. En fait, tout ceux qui connaîssent vraiment bien la France, la détestent. C'est aussi pour cela qu'ils l'aiment. Et moi, je suis l'un de ceux-là. Et que cela vous plaise ou non, chère Janine, la seule façon de me faire quitter ce fichu pays sera dans un cercueil. Subventionné par l'Etat. Mais là, j'exagère un peu bien sûr.

The fall of « Newsweek » 2 – Quand l’hebdomadaire s’acharne et se trompe à nouveau

Quelques jours après avoir publié un article truffé d’erreurs sur "le déclin de la France"
l’hebdomadaire américain Newsweek remet le couvert avec un deuxième texte, évoquant cette fois "comment la nation du coq est devenue autruche".
Si ce nouvel article est sensiblement plus documenté que le précédent et s’il dresse un constat qui, encore une fois, n’est ni illégitime ni entièrement faux, il comporte tout de même son lot de contre-vérités. Et surtout son auteure, Leah McGrath Goodman, applique à la France des recommandations que la Commission européenne a adressé à toute la zone euro…
Remarque liminaire : ce blog n’a pas pour objet de faire de l’analyse macroéconomique, mais de la vérification factuelle. Nous pointons ici des erreurs, qui n’enlèvent rien à la légitimité des critiques soulevées par Newsweek, et qui sont partagées par certains en France. Mais ces critiques, pour légitimes qu’elles soient, n’empêchent pas non plus de s’appuyer sur des faits vérifiés et une enquête sérieuse.
1/ "Dans une note, la Commission européenne sonnait l’alarme, estimant que'la France connaît des déséquilibres macroéconomiques, qui demandent de la surveillance et des actions politiques décisives'."
["In an occasional paper released last year, the European Commission’s Directorate General for Economic and Financial Affairs sounded the alarm, stating: "France is experiencing macroeconomic imbalances, which require monitoring and decisive policy action."]
Newsweek fait allusion ici à une note de la Commission européenne destinée au Parlement et rédigée en 2013. Mais l'hebdomadaire se garde bien de préciser que la recommandation adressée à la France était similaire, mot pour mot, à celle adressée à neuf autres pays : la Suède, le Royaume-Uni, la Finlande, Malte, la Hongrie, l’Italie, le Danemark, la Bulgarie et la Belgique.
A chaque fois, la Commission a utilisé exactement la même expression : "is experiencing macroeconomic inbalances, which deserve monitoring" ("connaît des déséquilibres macroéconomiques, qui demandent de la surveillance et des actions politiques décisives").
2/ "L’économie française s'est distinguée de ses pairs de la zone euro quand la crise économique a éclaté en 2008. Parmi les pays de l’Union européenne, la France était l’une des rares à éviter la récession en 2010 et 2011."
["France’s economy stood out among its peers in the euro area when the economic crisis of 2008 broke. Among the European Union member states, France was one of the few to avoid recession in 2010 and 2011."]
On commencera par rappeler que la France a bien connu une année de récession, certes faible (- 0,1 %) en 2008.
On peut poursuivre en rappelant qu’en 2010, la zone euro a connu une croissance moyenne de 2 % (1,7 % pour la France), et qu’en 2011, seuls deux pays de la zone euro ont connu la récession, la Grèce et le Portugal. La croissance moyenne de la zone euro était alors de 1,6 %.
C’est en 2012 que la zone a connu la récession, la France se "distinguant" alors avec une croissance nulle (0 %).
>> Lire : La France retombe en récession (mai 2013)
3/ "Comme l’un de nos détracteurs le notait, 'si les élites fuient la France, comment se fait-il que trois des six meilleures écoles en terme de PDG d’entreprises de l’indice Fortune 500 soient françaises'. Un bon point. Sauf que, puisque les compagnies de l’indice Fortune 500 sont basées aux Etats-Unis, pourquoi autant de dirigeants d’entreprises français ont traversé l’océan pour faire leur fortune ailleurs plutôt que de rester en France ?"
["As one detractor pointed out, "If the elite are fleeing from France, how is it that three of the top six MBA schools for Fortune 500 CEOs are French?" A good point. Indeed, since the Fortune 500 companies are all based in the U.S., why are so many top French business executives heading across the pond to make their fortunes elsewhere – rather than staying in France?"]
Le magazine fait ici allusion à un classement, The Alma Mater index, des meilleurs diplômes MBA en fonction du nombre de sortants de ces écoles qui dirigent aujourd’hui des entreprises de l’indice Fortune 500 des plus grandes entreprises mondiales. Six de ces écoles sont françaises, comme l’avait noté le blog Rude Baguette, qui voulait ainsi montrer que la France gardait quelques atouts.
La réponse de Newsweek consiste à dire que "puisque ces entreprises sont toutes américaines, pourquoi autant de patrons français quittent leur pays pour faire fortune ailleurs" ? Or, comme le relevait un commentateur de ce blog, l’étude évoquée par Rude Baguette évoque non l’indice des seules entreprises américaines, mais le "Fortune Global", qui comprend les 500 plus grandes compagnies mondiales. Or, seules 132 d’entre elles sont américaines, (32 françaises, autant d'allemandes).
L’argument ne tient donc pas.
4/ "Le point d’inflexion dans l’économie [française] survint en janvier 2012 quand une première agence de notation, Standard & Poor’s, a retiré à la France son triple A, comme elle le fit avec les économies les plus faibles de l'Union européenne : l'Italie, l'Espagne, Chypre et le Portugal. Depuis, non seulement Moody's et Fitch en ont fait autant, mais aussi S & P a dégradé une fois de plus la note française. Mon dieu !"["The turning point in the economy came in January 2012 when the first credit-ratings agency – Standard & Poor’s – stripped France of its top AAA rating, along with some of the weakest economies in the EU: Italy, Spain, Cyprus and Portugal. Since then, not only have the other two major credit-ratings agencies, Moody’s and Fitch, followed suit, but just before the holidays, S&P downgraded France again to a AA rating. Mon dieu!"]
L’auteure de l’article, citant la Commission européenne, assure que la France avait plutôt mieux résisté que ses voisins à la crise économique et financière de 2008. Las, les soucis ont fini par rattraper le pays, preuve en est la perte du fameux triple A en janvier 2012, à l’instar "des économies les plus faibles de l’Europe comme l’Italie, l’Espagne, Chypre et le Portugal".
Newsweek a raison : la dette souveraine française a en effet perdu son AAA, décerné par Standard & Poor’s, en janvier 2012, en pleine campagne présidentielle – elle a à nouveau été dégradée par d’autres agences depuis. En revanche, l’hebdomadaire laisse penser qu’il y a d’un côté les économies faibles et la France, de l’autre le reste de l’Union européenne. D'ailleurs, quitte à évoquer les économies les plus faibles de l'UE, il aurait fallu parler de la Grèce !
Dans la réalité, les pays qui ont toujours leur AAA décerné par S & P sont rares : ils sont treize, dont sept dans l’Union européenne. L’italie est notée BBB, l’Espagne BBB-, Chypre B- et le Portugal BB-. Quant aux Etats-Unis, ils ont également perdu leur triple A, tout comme l'Union européenne.
Etre bien noté par les agences n’est pas une fin en soi. En revanche, si une dette est mal notée par ces agences, les taux d’intérêt augmentent. Or, depuis que la France a perdu son triple A, les taux d’intérêt sont restés bas, voire très bas à certaines périodes. Ils sont en tout cas largement inférieurs à ceux en vigueur en 2011.
On peut enfin rappeler que, perte du triple A ou non, tous les taux de la zone euro ont énormément baissé ces derniers mois, y compris ceux de la Grèce (8 % pour le taux à 10 ans, contre 25 % au plus fort de la crise), de l'Espagne (3,9 % contre 6 ou 7 % au plus fort), de l'Italie (3,9 % contre 7 ou 8 % avant)... sans pour autant que les agences aient relevé leurs notations.
5/ "Nous comprenons et sommes bien informés qu’autrefois le mot entrepreneur était français, même s’il est tombé en désuétude."["We fully understand, are aware that once upon a time "entrepreneur" was indeed a French word, even if it has fallen into abeyance."]
Le mot "entrepreneur" tombé en désuétude en France ? Seriously  ?
Si on se fie aux statistiques de Google sur l’usage de ce terme dans les livres français, c’est faux. S’il est moins utilisé qu’au tournant du XIXe siècle, le mot a une fréquence stable depuis.
Surtout, Newsweek sait-il que, selon une étude du cabinet d’audit global RSM, en 2007 et 2011, le nombre d’entreprises créées a progressé quatre fois plus vite en France que dans les pays du G7 ? Et que pendant qu’aux Etats-Unis on créait 95 000 entreprises, la France alignait 562 000 créations nettes ? Cela est certes dû au boom du statut d’autoentrepreneur, mais ce statut ne prouve-t-il justement pas que l’entreprise n’est pas un concept désuet en France ?
6/ "'Pour être continué', comme disent les Français."["As the French say, 'Pour être continué'."]
C’est un détail, mais qui montre le manque de rigueur du magazine. Ou alors est-ce son sens de l’humour qui laisse perplexe ?
Si "to be continued" est une expression très courante en anglais, en bon français, on dira "à suivre"...
"Pour être continué", donc !

dimanche 5 janvier 2014

L'ARTICLE DE NEWSWEEK, OU «LA FRANCE VUE DU VIÈME ARRONDISSEMENT DE PARIS»

La presse US a tendance à nous décrire une capitale française pleine de clichés. Ainsi dans le New York Times, Maureen Dowd déclarait son amour au «malaise» existentiel français:
«La chroniqueuse pens[ait] raconter la France, la vraie, et sa déprime, à partir d'observations menées depuis la Fashion Week, le cabinet d'un dentiste avenue Hoche avec des coussins imprimés Picasso dans sa salle d'attente etd'un espresso bu au Rostand, en face des jardins du Luxembourg
L’avenue Hoche reliant l'Arc de Triomphe au Parc Monceau, et le Jardin du Luxembourg, attenant au Palais du Luxembourg qui abrite le Sénat, étant un des quartiers les plus honéreux de la Rive gauche, les autochtones accueillent souvent de tels articles avec un peu de scepticisme sur leur portée sociologique.
Or voici que Newsweek —racheté en 2012 par un jeune entrepreneur français, Etienne Uzac, dont les liens avec un pasteur évangélique américain (qui se prend pour Jesus) ont fait jaser— vient de nous en remettre une couche. Sur le fond, l’article défend, c'est bien son droit, une ligne libérale classique qu’on peut résumer par cette phrase qu’un directeur juridique d’une grande entreprise lâche à la journaliste:
«La France se meurt. C’est le socialisme qui la tue».
Après tout, l’article annonce la couleur dès le titre, «The Fall of France» —«La chute de la France». Ses interlocuteurs, «talents» que sont les «business leaders, les innovateurs, les penseurs créatifs et les hauts dirigeants», ont déroulé face à la journaliste leur récit favori: la France n'est pas —encore— une vaste place de marché totalement libre et innovante. 
Mais c’est surtout l’arrière-plan général qui met, une de fois plus, mal à l’aise et donne, une fois de plus, l’impression que les observateurs sévères voient la France depuis un angle de vue particulièrement étroit.
La journaliste a quitté Notting Hill pour les abords du Jardin du Luxembourg (encore lui !), rencontre ses interlocuteurs dans un restaurant japonais du VIèmearrondissement, a mis son fils à l’Ecole alsacienne, un des établissements les plus sélectifs de la capitale, et écrit que le demi-litre de lait coûte 4 dollars, soit environ 3 euros —pour info, même le litre de lait Monoprix Gourmetne dépasse pas 1,33 euros...


Ce sont de petits détails, et il ne s'agit pas de tirer sur l'ambulance, puisque la journaliste qui a écrit l'article est en train de passer un très mauvais moment sur les réseaux sociaux. Ce qu'elle décrit est en fait, malheureusement, proche d'une certaine réalité: celle d'une bulle d'aisance, autosatisfaite, incapable de percevoir et de comprendre pourquoi le pays ne colle pas tout à fait à ses fantasmes et ne suit pas toujours le tempo qu'elle voudrait lui imposer.

http://www.slate.fr/france/81885/article-newsweek-france

(...)

Il peut être légitime de débattre du périmètre de l'Etat providence (une richesse française que le monde nous a pourtant longtemps envié - voir l'Obamacare sensé offrir enfin une protection sociale aux millions d'Américains qui en sont dépourvus), pour lequel, puisque nous vivons plus longtemps, nous n'avons plus tout à fait les mêmes moyens qu'à la Libération.
On peut enfin souligner un certain désordre dans le labyrinthe compliqué du système d'allocations ou celui des congés maternité, mais il est gênant - quand un pays compte trois millions de chômeurs, quand l'écart grandit entre riches et pauvres, quand le travail précaire frappe les plus jeunes et que le non travail touche les plus vieux - de caricaturer à la Marie-Chantal les prestations sociales françaises comme le fait Newsweek dans cet article ahurissant : la journaliste devrait fréquenter Pôle Emploi de temps en temps, plutôt que de nous conter les abus de ce cameraman qui travaille 5 mois et vit les 7 autres dans le Sud de la France du fruit de ses allocations. Elle devrait rendre visite aux infirmières des hôpitaux publics dont la pénibilité du travail leur permet de prendre leur retraite plus tôt. Et si elle se moque des avantages que la Sécu lui a procuré en lui remboursant un certain nombre de séances de kiné après son accouchement, on aimerait toutefois lui demander où elle a trouvé ses couches-culottes gratuites, subventionnées par l'Etat !... Sans doute dans le même supermarché fantôme où elle paie son demi litre de lait trois euros !
Dans quel monde vit cette dame ? Ou plus exactement, si elle a bien entendu le droit de penser ce qu'elle veut, l'exigence journalistique qu'elle met sûrement dans ses écrits quand elle parle du Hezbollah ou des Syriens massacrés, aurait dû la faire sortir un instant de son milieu avant d'éreinter la France. Elle aurait sûrement trouvé aussi beaucoup à redire, mais en moins ridicule !
Un coup d'œil en revanche sur le paradis anglais vers lequel s'enfuient ses riches amis français, nous apprend que le PIB par habitant reste pourtant légèrement supérieur en France en 2012 selon le FMI: 41.223 dollars par tête en France, contre 39.161 dollars au Royaume Uni où la croissance a été de 0,2% en 2012 et a été prévue à 0,6% en 2013. Pas de quoi pavoiser.
Par ailleurs, en avril dernier, Mark Carney, succédant à Mervyn King à la tête de la Banque Centrale d'Angleterre décrivait l'économie anglaise comme celle d'un pays en crise, à l'image de l'Eurozone et du Japon.
On sait en revanche que le taux de chômage y est plus bas qu'en France, mais au prix d'une flexibilité absolue et de contrats dits "contrats zéro heure", selon lesquels l'employé doit se présenter à son job tous les jours... mais l'employeur n'est pas tenu de lui fournir du travail. C'est ce type de contrats qui fabrique les "working poors". Je renvoie les lecteurs de Newsweek à cet article du Guardian - quotidien britannique - décrivant cette nouvelle armée de travailleurs qui aurait, dit le journal, fait la joie de Karl Marx et qui alimente les rangs des syndicats dénonçant leur exploitation.
Autrement dit, un doux rêve pour les amis de Janine di Giovanni, où l'on peut embaucher et virer à sa guise, mais qui ne semble pas faire pour autant du Royaume Uni un jardin d'Eden, comparé au purgatoire français.
Quant à Londres, elle est la deuxième ville la plus chère d'Europe derrière Moscou, Paris est douzième selon l'indice Eurocost pour les expatriés. Londres est classée la cinquième ville la plus chère au monde. Paris n'est même pas dans les vingt premières. Voilà qui devrait redonner à notre journaliste le moral, elle qui trouve que le coût de la vie à Paris est plus cher que partout ailleurs sur la planète. Et on la rassure, elle peut encore faire son marché dans notre capitale : contrairement à ses achats récents pour lesquels elle devrait porter plainte pour escroquerie, elle devrait trouver le litre de lait rigoureusement au même prix que de l'autre côté de la Manche, soit moins d'1,30 euro le litre (assez loin des 4 dollars le demi-litre décrit dans l'article de Newsweek !). 
Puisqu'à part Christophe de Margerie, le patron de Total, elle ne connaît pas de grands entrepreneurs français ("ah, où sont les Richard Branson ou les Bill Gates français ?" s'interroge-t-elle) citons lui, dans le même domaine, le nom de Xavier Niel, patron de Free, qui, dans Le Figaro, va même jusqu'à faire l'éloge de la fiscalité française, ce qui, convenons-en, est légèrement excessif ! Enfin si jamais elle s'intéresse au dynamisme des entreprises de high tech, elle sera surprise de savoir que Dailymotion, est numéro 2 mondial de la vidéo en streaming sur Internet, et filiale d'Orange. Certes, ce n'est pas plus Bill Gates que Cameron n'est Obama, mais enfin...
Stop. Arrêtons-là cette fausse guerre de cent ans indéfiniment recommencée, alors qu'on va célébrer la grande alliance d'il y a un siècle, de nos deux peuples dans les tranchées. Assez de coq gaulois, de lion britannique, assez de Froggy French et de Perfide Albion, c'est bon pour les caricaturistes d'avant-hier, ce n'est pas pour les gens sérieux. Laissons aussi, de grâce, Jean-Paul Sartre à ses admirateurs ou à ses contempteurs sans avoir besoin de faire de lui, comme le fait Madame di Giovanni, le champion "d'une France qui se regarde le nombril".
J'aimerais juste, pour finir, inviter courtoisement notre journaliste à aller voir, si elle ne l'a fait, le film - britannique - " Le Géant Egoïste" ("The Selfish Giant") de Clio Barnard, d'après une nouvelle d'Oscar Wilde. Il se joue au MK2 Hautefeuille, il n'est même pas besoin de sortir du VIème arrondissement !
Arbor, 13 ans, et son meilleur ami Swifty habitent un quartier populaire de Bradford, au Nord de l'Angleterre. Renvoyés de l'école, les deux adolescents rencontrent Kitten, un ferrailleur du coin. Ils commencent à travailler pour lui, collectant toutes sortes de métaux usagés. Jusqu'au drame. C'est du Ken Loach puissance dix. Une description quasi documentaire de la misère urbaine anglaise, un très beau film, mais presque insoutenable. Si nous avons eu Germinal, "Le Géant Egoïste" n'est pas très loin de Dickens, et ça se passe aujourd'hui. Après tout, en référence au quartier le plus chic de Londres où, comme elle nous le confie, vécut la journaliste de Newsweek, ce conte tragique peut lui montrer un visage de l'Angleterre, autre que le joli conte de fées "Coup de foudre à Notting Hill". Même si Conner Chapman n'est pas Julia Roberts..
http://www.huffingtonpost.fr/anne-sinclair/article-newsweek-france_b_4547107.html?utm_hp_ref=tw

The Fall of « Newsweek » – Les mille et une erreurs d’un article de « french-bashing »

Pas une semaine ne passe sans que la presse anglo-saxonne y aille de son analyse sur la France, son déclin ou ses succès, ses atouts ou ses défauts. Le 3 janvier, c’est l’hebdomadaire Newsweek qui a publié un article sur le déclin de la France ("The fall of France").
L’analyse que fait la journaliste Janine di Giovanni sur les échecs et les excès de la politique menée par François Hollande n'est pas d'une grande originalité ; elle est partagée par beaucoup à droite de l’échiquier politique français.
En revanche, Mme di Giovanni – qui fonde sa légitimité sur le fait de vivre à Paris – commet un nombre incroyable d’erreurs factuelles qui ôtent une bonne part de la crédibilité de ce réquisitoire.

1/ "Depuis l'élection de François Hollande, en 2012, l'impôt sur le revenu et les contributions sociales ont atteint des sommets. Le taux supérieur atteint 75 %, et un grand nombre de gens paient 70 %."

["Since the arrival of Socialist President François Hollande in 2012, income tax and social security contributions in France have skyrocketed. The top tax rate is 75 percent, and a great many pay in excess of 70 percent."]

On ne sait pas ici si l'article parle d’impôt sur le revenu ou de cotisations sociales ; visiblement, il mélange les deux. Mais dire que le "top tax rate", le seuil maximal d’imposition, est de 75 % est faux.
Au-delà de 500 000 euros annuels, le taux marginal de l’impôt sur le revenu est de 49 %. Quant à la taxe à 75 %, elle a été censurée par le Conseil constitutionnel en tant que tranche d’imposition supplémentaire, et elle est désormais payée par les entreprises.
Enfin, dire qu’un "grand nombre" paye plus de 70 % d’impôts est, là encore, une aberration. Il est sans doute possible d’atteindre une telle proportion en additionnant impôt sur le revenu, impôt sur la fortune et cotisations sociales, mais cela ne concerne, par définition, que les plus aisés.
En 2012, on comptait moins de 300 000 contribuables assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), dont la moitié disposaient de moins de 2 millions d’euros de patrimoine.

2/ "[Ceux qui créent la croissance économique] sont tous en train de quitter la France pour exercer leurs talents ailleurs."

["As a result, there has been a frantic bolt for the border by the very people who create economic growth – business leaders, innovators, creative thinkers, and top executives. They are all leaving France to develop their talents elsewhere."]

Si la thèse des exils fiscaux massifs est rebattue par certains cercles et souvent évoquée dans la presse, aucun élément factuel ne permet à l’heure actuelle d'affirmer qu'il existe un exode massif.
Un rapport de Bercy remis à la fin de 2013 à Bernard Cazeneuve, ministre chargé du budget, invalidait cette thèse, évoquant une hausse de 1,1 % du nombre de Français établis légalement à l’étranger en 2012, contre 6 % en 2011.
Il est, en tout état de cause, difficile de discerner les raisons qui poussent des Français à quitter leur pays, et il est certain que la fiscalité n'est pas la seule cause. Enfin, nombreux sont aussi ceux qui reviennent en France...

3/ "Le problème avec le français, c’est qu’il n’existe pas de mot pour 'entrepreneur'."
[ "The problem with the French is they have no word for entrepreneur." ]

L'auteur reprend à son compte cette affirmation attribuée à George W. Bush en 2002, et qui pourrait être employée ici dans un sens ironique, même si ce n'est pas évident. Le Petit Robert est en tous cas formel, le mot "entrepreneur" existe bel et bien dans la langue française ; et ce depuis des lustres. Et d’ailleurs, le mot anglais a été emprunté au français au XIXe siècle.

4/ "Officiellement, 3 millions de personnes sont au chômage en France ; officieusement, ce serait plus proche de 5 millions."

["The official unemployment figure is more than 3 million; unofficially it’s more like 5 million."]

En réalité, le nombre de demandeurs d’emploi, toute catégories confondues, n'est pas proche de 5 millions, il a dépassé les 5 millions depuis le printemps 2012.
Le "chiffre officiel" de 3 millions de chômeurs concerne uniquement, en France métropolitaine, les chômeurs de catégorie A. Il s’agit des demandeurs d’emploi qui n’ont exercé aucune activité, contrairement à ceux des catégories B et C, qui ont eu une activité réduite. Quant aux chômeurs des catégories D et E, ils sont dispensés de recherche d’emploi pour diverses raisons.
Si l’on fait la somme de toutes ces catégories, en métropole et dans les DOM, le nombre de demandeurs d’emploi atteignait, en octobre, 5,5 millions de personnes. Et ce n'est pas une donnée officieuse que l'auteure de l'article aurait obtenue d'une source bien informée : elle émane des statistiques du ministère du travail, accessibles à tout un chacun.

5/ "Un demi-litre de lait à Paris, par exemple, coûte presque 4 dollars [3 euros environ], le prix d'un gallon [3,8 litres] aux Etats-Unis."

["A half liter of milk in Paris, for instance, costs nearly $4 – the price of a gallon  in an American store."]

Un demi-litre de lait coûterait près de 4 dollars, soit le litre à 5,88 euros ? Même si Janine di Giovanni réside dans le très cher 6e arrondissement de la capitale, on se demande où elle peut bien aller faire ses courses : le prix du lait bio le plus élevé que nous ayons réussi à trouver est de 1,42 euros le litre.
Soit quatre fois moins cher que celui donné par Mme di Giovanni. Il faut aller chercher du lait de croissance bio pour enfants sur le site de La Grande Epicerie du Bon Marché, célèbre magasin de luxe parisien, pour se rapprocher des prix donnés par la journaliste.

 6/ "Les couches sont gratuites, les gardes d'enfants sont déductibles des impôts et les crèches sont gratuites dans tous les quartiers."
[Diapers were free ; nannies were tax-deductible ; free nurseries existed in every neighborhood.]

Hormis au Secours populaire ou dans d'autres organisations caritatives à destination des plus précaires, et le cas des centres de protection maternelle infantile (PMI), qui peuvent en distribuer quelques-unes au cas par cas, il n’existe aucun dispositif généraliste en France offrant des couches gratuites aux parents.
Il est exact que la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) permet de déduire une partie du coût occasionné par une garde d'enfants de ses revenus, mais le système est loin d’être unique : aux Etats-Unis existe, par exemple, le household and dependent care credit, une réduction d’impôts en fonction des dépenses engendrées notamment par des gardes d’enfants.

Par ailleurs, il n’existe aucune crèche gratuite en France. Les crèches sont soit municipales, soit privées, soit associatives, mais tout le monde les paie, même si les aides de la CAF peuvent, pour les plus modestes, prendre en charge une grande partie du coût.
Enfin, s'il existe de nombreuses crèches, elles sont loin de pouvoir accueillir tous les enfants. Les crèches sont réservées prioritairement aux enfants dont les parents travaillent. Un récent rapport de la Cour des comptes estimait que seuls 8 % à 13 % des enfants des familles les plus modestes étaient gardés hors de la famille, contre 64 % des enfants les plus aisés.

7/ "Qui s'intéresse aux BRICS – les marchés émergents du Brésil, de la Russie, de l'Inde et de l'Afrique du Sud – quand on a Paris ?"

 ["Who cares about the BRICS – the emerging markets of Brazil, Russia, India, China, and South Africa – when we have Paris? It is a tunnel-vision philosophy that will kill France."]

On se demande si la journaliste a pris le temps de faire ne serait-ce qu’une simple recherche sur Google pour confirmer ce propos cité de manière anonyme.
Rappelons tout d'abord que la France est le onzième investisseur mondial à l’étranger et le troisième parmi les pays de l’Union européenne – et représente la première destination des investissements américains en Europe. Donc un pays qui reste attractif.
Les Français – par snobisme sartrien, nous explique l'article – bouderaient donc les pays émergents ? Voir : selon la CNUCED, la Chine est le deuxième investisseur étranger en France, en hausse de 35 % en 2012 par rapport à 2011. Le Brésil est le quatrième pays en termes d'investissements en France. Enfin, les investissements russes dans notre pays ont doublé en un an.
Quant aux investissements français à l'étranger, si 69,9 % sont dirigés vers l'Europe, ils se font à 17,2 % vers des pays émergents, dont 5 % vers le Brésil, selon l'Insee.

8/ "Il y a trente-six régimes spéciaux de retraite – ce qui signifie, par exemple qu'une femme qui travaille dans un hôpital ou un conducteur de train peuvent prendre leur retraite plus tôt que ceux qui travaillent dans le privé en raison de la pénibilité de leur tâche, même ceux qui ne peuvent être renvoyés."

[There are 36 special retirement regimes – which means, for example, a female hospital worker or a train driver can retire earlier than those in the private sector because of their "harsh working conditions," even though they can never be fired.]
Là encore, on est dans l’approximation la plus totale. Il existe en réalité, outre le cas des fonctionnaires, une quinzaine de régimes dits "spéciaux", dérogatoires au régime général, et non trente-six.

Parmi ceux-ci, la SNCF, où les conducteurs de train partaient effectivement à la retraite plus tôt. Mais la réforme Fillon de 2007 a prévu un alignement progressif des conditions de départ sur celles du privé.
Quant à la fonction publique hospitalière, elle permet de partir à 60 ans au lieu de 62 ans dans certains cas. Mais une infirmière comme un conducteur de train peuvent tout à fait être licenciés en cas de faute.

9/ "L'Etat français paie également, pour toutes les nouvelles mères, dont moi, des consultations chez un kiné deux fois par semaine pour retrouver un ventre plat. Cela a été conçu comme une incitation à la natalité – votre mari sera moins enclin à vous toucher si vous avez toujours vos rondeurs de grossesse... c'est si français – après la première guerre mondiale, quand tant de jeunes hommes sont morts dans les tranchées."

[The French state also paid for all new mothers, including me, to see a physical therapist twice a week to get our stomachs toned again. Essentially it was seen as a baby-making opportunity (your husband is not going to touch you if you still have your baby fat – how very French!) after World War I, when so many young men were killed in the trenches.]

La sécurité sociale rembourse des séances de rééducation périnéales (et non abdominales) après l’accouchement quand le médecin le juge nécessaire. Le système de soins français permet de toute façon à un praticien de prescrire de séances de kinésithérapeute s’il estime que c’est nécessaire à un patient, et ces séances sont alors remboursées.
Prétendre que ce principe date de l’après-première guerre mondiale est, encore une fois, aberrant : les premières ordonnances de sécurité sociale datent de 1928. Sa généralisation, de 1945... Il est tout aussi ridicule d'affirmer qu’il s’agit d’encourager la natalité en rendant les femmes plus "désirables"  puisqu'il s’agit de rééducation périnéale, non abdominale, comme le rappelait, dimanche, FTVi.

Voilà pour les plus grosses erreurs que nous avons relevées dans cet article. Nous aurions pu également parler de l'école alsacienne, qui, bien que privée, est brandie comme exemple du système scolaire, ou du statut d'intermittent du spectacle que Mme di Giovanni semble ne pas bien connaître, ou encore de ses comparaisons des plus douteuses avec la révocation de l'édit de Nantes.