Quelques jours après avoir publié un article truffé d’erreurs sur "le déclin de la France",
l’hebdomadaire américain Newsweek remet le couvert avec un deuxième texte, évoquant cette fois "comment la nation du coq est devenue autruche".
Si ce nouvel article est sensiblement plus documenté que le précédent et s’il dresse un constat qui, encore une fois, n’est ni illégitime ni entièrement faux, il comporte tout de même son lot de contre-vérités. Et surtout son auteure, Leah McGrath Goodman, applique à la France des recommandations que la Commission européenne a adressé à toute la zone euro…
Remarque liminaire : ce blog n’a pas pour objet de faire de l’analyse macroéconomique, mais de la vérification factuelle. Nous pointons ici des erreurs, qui n’enlèvent rien à la légitimité des critiques soulevées par Newsweek, et qui sont partagées par certains en France. Mais ces critiques, pour légitimes qu’elles soient, n’empêchent pas non plus de s’appuyer sur des faits vérifiés et une enquête sérieuse.
1/ "Dans une note, la Commission européenne sonnait l’alarme, estimant que'la France connaît des déséquilibres macroéconomiques, qui demandent de la surveillance et des actions politiques décisives'."
["In an occasional paper released last year, the European Commission’s Directorate General for Economic and Financial Affairs sounded the alarm, stating: "France is experiencing macroeconomic imbalances, which require monitoring and decisive policy action."]
Newsweek fait allusion ici à une note de la Commission européenne destinée au Parlement et rédigée en 2013. Mais l'hebdomadaire se garde bien de préciser que la recommandation adressée à la France était similaire, mot pour mot, à celle adressée à neuf autres pays : la Suède, le Royaume-Uni, la Finlande, Malte, la Hongrie, l’Italie, le Danemark, la Bulgarie et la Belgique.
A chaque fois, la Commission a utilisé exactement la même expression : "is experiencing macroeconomic inbalances, which deserve monitoring" ("connaît des déséquilibres macroéconomiques, qui demandent de la surveillance et des actions politiques décisives").
2/ "L’économie française s'est distinguée de ses pairs de la zone euro quand la crise économique a éclaté en 2008. Parmi les pays de l’Union européenne, la France était l’une des rares à éviter la récession en 2010 et 2011."
["France’s economy stood out among its peers in the euro area when the economic crisis of 2008 broke. Among the European Union member states, France was one of the few to avoid recession in 2010 and 2011."]
On commencera par rappeler que la France a bien connu une année de récession, certes faible (- 0,1 %) en 2008.
On peut poursuivre en rappelant qu’en 2010, la zone euro a connu une croissance moyenne de 2 % (1,7 % pour la France), et qu’en 2011, seuls deux pays de la zone euro ont connu la récession, la Grèce et le Portugal. La croissance moyenne de la zone euro était alors de 1,6 %.
C’est en 2012 que la zone a connu la récession, la France se "distinguant" alors avec une croissance nulle (0 %).
>> Lire : La France retombe en récession (mai 2013)
3/ "Comme l’un de nos détracteurs le notait, 'si les élites fuient la France, comment se fait-il que trois des six meilleures écoles en terme de PDG d’entreprises de l’indice Fortune 500 soient françaises'. Un bon point. Sauf que, puisque les compagnies de l’indice Fortune 500 sont basées aux Etats-Unis, pourquoi autant de dirigeants d’entreprises français ont traversé l’océan pour faire leur fortune ailleurs plutôt que de rester en France ?"
["As one detractor pointed out, "If the elite are fleeing from France, how is it that three of the top six MBA schools for Fortune 500 CEOs are French?" A good point. Indeed, since the Fortune 500 companies are all based in the U.S., why are so many top French business executives heading across the pond to make their fortunes elsewhere – rather than staying in France?"]
["As one detractor pointed out, "If the elite are fleeing from France, how is it that three of the top six MBA schools for Fortune 500 CEOs are French?" A good point. Indeed, since the Fortune 500 companies are all based in the U.S., why are so many top French business executives heading across the pond to make their fortunes elsewhere – rather than staying in France?"]
Le magazine fait ici allusion à un classement, The Alma Mater index, des meilleurs diplômes MBA en fonction du nombre de sortants de ces écoles qui dirigent aujourd’hui des entreprises de l’indice Fortune 500 des plus grandes entreprises mondiales. Six de ces écoles sont françaises, comme l’avait noté le blog Rude Baguette, qui voulait ainsi montrer que la France gardait quelques atouts.
La réponse de Newsweek consiste à dire que "puisque ces entreprises sont toutes américaines, pourquoi autant de patrons français quittent leur pays pour faire fortune ailleurs" ? Or, comme le relevait un commentateur de ce blog, l’étude évoquée par Rude Baguette évoque non l’indice des seules entreprises américaines, mais le "Fortune Global", qui comprend les 500 plus grandes compagnies mondiales. Or, seules 132 d’entre elles sont américaines, (32 françaises, autant d'allemandes).
L’argument ne tient donc pas.
4/ "Le point d’inflexion dans l’économie [française] survint en janvier 2012 quand une première agence de notation, Standard & Poor’s, a retiré à la France son triple A, comme elle le fit avec les économies les plus faibles de l'Union européenne : l'Italie, l'Espagne, Chypre et le Portugal. Depuis, non seulement Moody's et Fitch en ont fait autant, mais aussi S & P a dégradé une fois de plus la note française. Mon dieu !"["The turning point in the economy came in January 2012 when the first credit-ratings agency – Standard & Poor’s – stripped France of its top AAA rating, along with some of the weakest economies in the EU: Italy, Spain, Cyprus and Portugal. Since then, not only have the other two major credit-ratings agencies, Moody’s and Fitch, followed suit, but just before the holidays, S&P downgraded France again to a AA rating. Mon dieu!"]
L’auteure de l’article, citant la Commission européenne, assure que la France avait plutôt mieux résisté que ses voisins à la crise économique et financière de 2008. Las, les soucis ont fini par rattraper le pays, preuve en est la perte du fameux triple A en janvier 2012, à l’instar "des économies les plus faibles de l’Europe comme l’Italie, l’Espagne, Chypre et le Portugal".
Newsweek a raison : la dette souveraine française a en effet perdu son AAA, décerné par Standard & Poor’s, en janvier 2012, en pleine campagne présidentielle – elle a à nouveau été dégradée par d’autres agences depuis. En revanche, l’hebdomadaire laisse penser qu’il y a d’un côté les économies faibles et la France, de l’autre le reste de l’Union européenne. D'ailleurs, quitte à évoquer les économies les plus faibles de l'UE, il aurait fallu parler de la Grèce !
Dans la réalité, les pays qui ont toujours leur AAA décerné par S & P sont rares : ils sont treize, dont sept dans l’Union européenne. L’italie est notée BBB, l’Espagne BBB-, Chypre B- et le Portugal BB-. Quant aux Etats-Unis, ils ont également perdu leur triple A, tout comme l'Union européenne.
Etre bien noté par les agences n’est pas une fin en soi. En revanche, si une dette est mal notée par ces agences, les taux d’intérêt augmentent. Or, depuis que la France a perdu son triple A, les taux d’intérêt sont restés bas, voire très bas à certaines périodes. Ils sont en tout cas largement inférieurs à ceux en vigueur en 2011.
On peut enfin rappeler que, perte du triple A ou non, tous les taux de la zone euro ont énormément baissé ces derniers mois, y compris ceux de la Grèce (8 % pour le taux à 10 ans, contre 25 % au plus fort de la crise), de l'Espagne (3,9 % contre 6 ou 7 % au plus fort), de l'Italie (3,9 % contre 7 ou 8 % avant)... sans pour autant que les agences aient relevé leurs notations.
5/ "Nous comprenons et sommes bien informés qu’autrefois le mot entrepreneur était français, même s’il est tombé en désuétude."["We fully understand, are aware that once upon a time "entrepreneur" was indeed a French word, even if it has fallen into abeyance."]
Le mot "entrepreneur" tombé en désuétude en France ? Seriously ?
Si on se fie aux statistiques de Google sur l’usage de ce terme dans les livres français, c’est faux. S’il est moins utilisé qu’au tournant du XIXe siècle, le mot a une fréquence stable depuis.
Surtout, Newsweek sait-il que, selon une étude du cabinet d’audit global RSM, en 2007 et 2011, le nombre d’entreprises créées a progressé quatre fois plus vite en France que dans les pays du G7 ? Et que pendant qu’aux Etats-Unis on créait 95 000 entreprises, la France alignait 562 000 créations nettes ? Cela est certes dû au boom du statut d’autoentrepreneur, mais ce statut ne prouve-t-il justement pas que l’entreprise n’est pas un concept désuet en France ?
6/ "'Pour être continué', comme disent les Français."["As the French say, 'Pour être continué'."]
C’est un détail, mais qui montre le manque de rigueur du magazine. Ou alors est-ce son sens de l’humour qui laisse perplexe ?
Si "to be continued" est une expression très courante en anglais, en bon français, on dira "à suivre"...
"Pour être continué", donc !
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