samedi 21 février 2015

Compte bancaire fermé pour « américanité »


Marc est informaticien dans une société d'assurances. En juillet 2014, sa banque, ING, a mis fin au mandat de courtage de l'assurance-vie dont ils dispose chez Generali. Il ne peut plus ni retirer des fonds, ni en rajouter, ni même obtenir de relevés. Pourquoi? Parce qu'il présente des "critères d'américanité".  
En l'occurrence, il est né aux Etats-Unis. "Je les ai quittés en 1966, à l'âge de neuf ans, pour venir vivre en France", dit-il. Lorsqu'il y est retourné, en vacances ou pour son travail, il a utilisé un passeport français.
Pourtant, sa banque vient de lui rappeler qu'il dispose de la double nationalité, et qu'il doit être en règle avec le fisc américain.

En effet, si la plupart des binationaux bénéficient de conventions fiscales prévoyant qu'ils sont imposés sur leur lieu de résidence, et leur permettant d'éviter la double imposition, ce n'est pas le cas des expatriés américains : quel que soit l'endroit du monde où ils vivent, ils doivent déclarer chaque année leurs revenus  à l'Internal revenue service (IRS, fisc américain),  si ces revenus sont supérieurs à un certain seuil (97 600 dollars en 2013 ou 10 000 dollars au moins un jour dans l'année). L'impôt qu'ils doivent est égal à la différence entre celui qu'ils devraient payer s'ils avaient perçu ces revenus aux États-Unis et celui qu'ils ont acquitté ailleurs.
Or, on constate que tous ne le font pas.  "J'ai peut-être atteint à titre exceptionnel le seuil des 97 600 euros, l'année où j'ai reçu une prime de licenciement", nous indique Marc. "Mais, compte tenu de mon ignorance en matière de fiscalité américaine, j'aurais dû avoir recours à un avocat, pour le vérifier : fallait-il compter les salaires bruts ou nets? Quel taux de change appliquer, etc?"
Pour remédier à cette situation, les Etats-Unis ont adopté,  en 2010,  le règlement Fatca (Foreign account tax compliance act). En France, il est entré en vigueur le 1er juillet 2014. Il oblige les banques à dénoncer les clients présentant des" indices d'américanité", et donc susceptibles d'être des "US persons", disposant d'un total d'avoirs supérieur à 50 000 dollars (44 468 euros).

Les banques doivent fournir à l'Internal Revenue Service des informations détaillées sur leurs comptes. Elles doivent communiquer soldes bancaires, intérêts et dividendes, produits d'assurance-vie et plus values. Faute de quoi elles se verront appliquer une taxe de 30% sur  les flux financiers versés depuis les États-Unis.
Pour le fisc américain, les principaux indices d'américanité sont la nationalité (titulaires de passeports américains ou de cartes vertes), le lieu de naissance, la résidence (adresse ou boîte postale aux Etats-Unis), le fait d'avoir un numéro de téléphone américain, d'avoir passé des ordres de virement permanents en faveur de personnes physiques ou morales aux Etats-Unis, ou d'avoir établi des procurations établies au profit d'un mandataire américain ou résident aux Etats-Unis. Ou encore d'avoir résidé aux Etats-Unis pendant 31 jours pendant l'année en cours, plus  183 jours au cours des trois dernières années.
ING a envoyé à Marc, soupçonné d'être une "US person", une lettre lui demandant de remplir des formulaires administratifs américains, afin de prouver soit qu'il est en règle avec le fisc américain, soit qu'il a officiellement renoncé à la nationalité américaine.

"Or, on ne peut obtenir le certificat d'abandon de la nationalité que si l'on a au préalable prouvé la régularité de sa situation fiscale, ce qui requiert, souvent, le recours à un avocat fiscaliste, aux honoraires coûteux - quand bien même on ne doit rien", se plaint-il.

ING indique que, faute de réponse dans les trente jours, elle le considèrera comme une "US person", et transmettra ses coordonnées aux autorités fiscales françaises, qui les enverront au fisc américain.
Marc a utilisé une clause (Annexe I, section II §B 4 (a) 3 (a), page 28) de l'accord Fatca qui propose à la banque de recueillir, en remplacement du  certificat de perte de nationalité, "le motif pour lequel  le titulaire du compte ne dispose pas d’un tel certificat alors qu’il a renoncé à la citoyenneté américaine".
Il  a répondu qu'il a "implicitement renoncé à sa nationalité américaine", du fait qu'il a été instituteur pendant trois ans : or, travailler pour un Etat autre que ceux d'Amérique, n'est pas autorisé. Son frère, qui a rencontré le même problème, a fait valoir qu'il avait été élu local.
Marc n'a pas encore reçu de réponse.

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Qu'arrivera-t-il à ceux qui auraient dû faire une déclaration au fisc et qui seront dénoncés dans le cadre de Fatca ?
"Ils devront payer des pénalités, même s'ils n'auraient pas, nécessairement, dû acquitter d'impôts", répond Patrick Bourbon, conseiller consulaire (sorte d'élu local de l'étranger) du Midwest, en précisant que la régularisation s'opère sur "huit ans". Dans ce cas, "ces pénalités représenteront 27,5% du solde de leur compte bancaire, l'année où il était le plus élevé".
M. Bourbon donne de nombreuses conseils fiscaux aux Français vivant aux Etats-Unis qui le  suivent sur le réseau Linkedin.
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L'accord Fatca pourrait concerner les quelque cent mille Américains qui résident en France. Certains se plaignent déjà de ne pas pouvoir ouvrir de comptes, comme le montre ce témoignage :
Comme ING, les banques leur expliquent que la " mise en place des procédures [prévues par Fatca]  implique un coût disproportionné tant pour la banque que pour ses clients".
Axabanque a ainsi fermé les comptes de quelque 250 clients (sur un total de 730 000) détenant plus de 50 000 dollars d'avoirs.
Conséquence : selon The Economist du 28 juillet 2014, quelque trois mille Américains vivant à l'étranger ( sur un total de sept millions) ont renoncé à la citoyenneté américaine ou à leur carte verte, en 2013,  contre une centaine par an, avant l'adoption de Fatca. Et, comme par hasard, le coût de cette renonciation, qui était de quelque 500 dollars en 2013, vient de grimper à 2350 dollars (1998 euros).

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Le règlement Fatca concerne aussi les Français établis aux Etats-Unis, si l'on en croit le sénateur Louis Duvernois (UMP, Français établis hors de France) : "Depuis l'application de l'accord Fatca, certains établissements français n'acceptent plus de clients français résidant aux Etats-Unis, ce qui complique sérieusement le quotidien de nos compatriotes", indique-t-il, dans une question écrite au ministère des finances, le 29 janvier.
C'est le cas,  par exemple de M. Bourbon, installé à Chicago depuis 1999: "Cortal a fermé mon compte", dit-il. Il a réussi à le transférer chez Boursorama.
Lors de la discussion à l'Assemblée nationale du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord Fatca, le 18 septembre 2014, Frédéric Lefebvre, député (UMP) de la première circonscription des Français établis hors de France, avait déjà évoqué les problèmes subis par les Français expatriés :
"Nombre de nos concitoyens résidant aux États-Unis mais conservant des avoirs en France sont donc priés de retirer leurs actifs, et ce sans possibilité de recours. Certains se trouvent tout simplement dans l’impossibilité d’ouvrir un compte en banque en France – je pense notamment à certains Français naturalisés américains qui décident de revenir en France pour y prendre leur retraite. De même, un Français établi aux États-Unis mais ayant conservé un patrimoine mobilier en France peut se trouver dans l’obligation de le liquider en dépit de toute planification fiscale légitimement effectuée en amont."
Et de citer un compatriote de Floride : " Une filiale de Natixis du groupe Banque Populaires-Caisses d’épargne vient de m’informer de la fermeture de mes deux comptes, titres et chèques, dans les trente jours, en raison du refus de cette banque de se soumettre aux exigences de contrôle des autorités américaines. (...) Je trouve cavalière cette pure et simple expulsion de clients sans que leur soit fourni le moindre modus operandi pour en limiter les conséquences fâcheuses, en particulier pour les comptes de titres. Faudra-t-il vendre les portefeuilles ou pourra-t-on les transférer dans des établissements étrangers ? Payer au fisc français, suite à cette vente forcée, des taxes sur des placements de long terme ? Que deviennent les cartes de crédit et les autorisations de prélèvement liées à ces comptes ? »
Pour M. Lefebvre, "ce sont des dizaines de milliers de Français qui sont menacés de voir couper le lien avec leur patrie", en raison de la fermeture de leur compte bancaire.  Or "ces comptes bancaires servent à payer la prestation de l'Ehpad pour un ascendant résidant en France, à honorer la pensions alimentaire de l'ex-épouse demeurée en France, à payer la taxe foncière,  la CSG-RDS de l'appartement loué en France à un étudiant", rappelait-il.
Il ajoutait qu'il "regrettait la précipitation mise par le gouvernement français à ratifier cet accord" car "accepter Fatca en l'état, c'est accepter le système américain d'imposition fondé sur la nationalité et non sur la résidence".
M. Duvernois, à son tour,  demande au ministère des finances de "préciser de quels moyens dispose la puissance publique française pour empêcher ces fermetures de comptes bancaires sur le territoire, effectuées de manière unilatérale".
Il se demande aussi si le Défenseur des droits pourrait être saisi du sujet. Un citoyen néerlando-américain a ainsi gagné un procès, en avril 2014, en invoquant les lois anti-discrimination, contre une banque néerlandaise qui lui avait fermé son compte.