mercredi 30 juin 2010

Résister à l'américanisation pourrait bien sauver ce qui reste de notre civilisation.

Marianne2

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Que ça leur plaise ou non, les Français doivent accepter que leur président nouvellement élu rassemble ses amis au Fouquet's, ou aille se reposer sur le yacht de Bolloré. Ils doivent admettre que le président s’invite chez un milliardaire mexicain sulfureux - alors même que la France se mêle de juger le général Noriega ! - . Que l’épouse du ministre du budget gère la première fortune de France, rien là, dès lors, qui doive choquer. Car l’argent n’a rien de honteux, dit-on, et les riches ne doivent pas être tenus pour des pestiférés. Dans la même perspective d’une relation à l’argent décomplexée, Mme Lagarde fut tenue pour compétente simplement parce qu’elle avait gagné beaucoup d’argent en Amérique.
Cette rhétorique n’est pas nouvelle : un homme comme Pasqua qui ne passe pas pour un ultra-libéral, en usait volontiers dans la chaleur des banquets RPR des Hauts-de-Seine.

Mais rien dans tout cela n’est spontané ; tout est idéologique. Par derrière ces attitudes, en effet, se trouve la volonté délibérée d’imiter l’Amérique, tenue pour référence unique de la modernité. De même qu’il faut, pour imiter les Etats-Unis et devenir un pays « moderne », supprimer tout ce qui n’existe pas outre-Atlantique : le juge d’instruction, les grandes écoles, le statut de la fonction publique, la séparation des ordonnateurs et des comptables, le premier ministre, la gendarmerie, la francophonie, le brevet des collèges etc. , il faut que nos hommes politiques n’hésitent pas à s’afficher avec des hommes qui ont « réussi », comme en Amérique.

Comme en Amérique ! Curieuse Amérique d’ailleurs, que l’on n‘a jamais tant prise en exemple que depuis qu’elle est sur la pente du déclin.
Et une des dimensions de cette ambition, c’est de liquider ce qu’il nous reste de pudeur s’agissant de l’argent : notre vieux « fond catholique », aussi politiquement incorrect que l’est la position du pape sur la capote ou le latin. Vieux fond aristocratique aussi, qui faisait des riches trop indiscrets des « parvenus ». Vieux fond qui n’a certes jamais empêché les pays latins de manier de l’argent – n’est-ce pas les Italiens qui inventèrent la banque ? - mais qui dictait une certaine pudeur vis-à-vis de cette question, comme vis-à-vis du sexe ou de la politique. Vieux fond qui imposait au pouvoir politique, s’il voulait paraître le pouvoir de tous, de garder une certaine distance vis-à-vis de ce que le général de Gaulle appelait la « corbeille».

Ce vieux fond, qui marque encore les mentalités française, l’idéologie « bling bling » se propose de le liquider, car il est jugé ringard, archaïque, dans un monde dominé par la langue anglaise et les valeurs anglo-saxonnes et protestantes - encore qu’une certaine distinction britannique – ou bostonienne - sensible à ce qu’ Orwell appelait la common decency, préconise la même discrétion à l’égard de l’ argent.
Pourtant ce vieux fond résiste. Il s’exprime par l’indignation de l’opinion qui pourrait finir par contraindre Woerth, quelque idéologie dont il se réclame, à la démission. Il se manifeste parce que si les Français savent que le pouvoir politique, n’a en régime capitaliste, jamais été vraiment indépendant des puissances d’argent, ils aiment que les apparences soient sauves.

Ce vieux fond qui résiste à l’américanisation à tout va qu’on veut nous imposer, ce n’est pas seulement celui d’une latinité ringarde, d’une catholicité désuète, il se peut que ce vieux fond, ce soit tout simplement la civilisation.

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