vendredi 14 janvier 2011

A Londres, l'amitié franco-américaine fait des envieux

Plus d'un Anglais s'est étranglé d'indignation en entendant Barack Obama, le 10 janvier 2011, vanter l'amitié qui unit Paris et Washington. Quoi, la vieille Angleterre n'aurait plus les faveurs des Etats-Unis ? A moins qu'elle n'ait trop présumé de ses charmes...

"Nous n'avons pas de meilleurs amis ni de meilleurs alliés que Nicolas Sarkozy et le peuple français", a déclaré Barack Obama le 10 janvier 2011 [alors qu'il recevait le président français à la Maison Blanche]. A peine avait-il prononcé ces mots que Nile Gardiner, un commentateur politique britannique basé à Washington, se ruait sur son clavier pour alimenter son blog sur le site du Daily Telegraph. "Il est difficile de comprendre ce qu'ont fait les Français pour mériter pareil compliment de la part du président américain, et si la Maison Blanche pense vraiment ce qu'elle dit - et qui constitue un changement de cap radical dans la politique étrangère des Etats-Unis."

Un peu susceptible, le monsieur, non ? "Suggérer que Paris, et non Londres, puisse être le principal partenaire de Washington est tout simplement ridicule", poursuit-il, indigné. "Aucun président américain de l'époque actuelle n'a décrit la France comme le plus proche allié des Etats-Unis; une telle affirmation n'est pas seulement fausse dans les faits mais insultante pour la Grande-Bretagne, surtout quelques années après que les Français ont ouvertement poignardé Washington dans le dos au sujet de la guerre d'Irak", conclut-il, apparemment au bord de l'apoplexie.

Quelqu'un pourrait-il donner une aspirine à M. Gardner ? Nile, vous ne devriez pas vous mettre dans un tel état. Obama voulait juste être poli. Tout président qui reçoit des chefs d'Etat étrangers ne peut simplement pas échapper aux déclarations de ce genre : "Hamid Karzaï est un grand ami des Etats-Unis", comme l'a affirmé George W. Bush à plusieurs reprises, ou "Le colonel Kadhafi est un grand ami de la France", comme l'a assuré Nicolas Sarkozy en novembre 2007, lorsqu'il avait invité le dictateur libyen à planter sa tente dans les jardins de l'Elysée, avec son entourage exclusivement féminin.

Ceci étant, du point de vue historique, je suis désolée de dire que le président américain a objectivement et émotionnellement raison de décrire la France comme le meilleur allié des Etats-Unis. La date du 3 septembre 1783 ne vous rappelle-t-elle rien [signature du traité de Versailles, par lequel l'Angleterre reconnaît l'indépendance des 13 colonies américaines] ? Et Lord Cornwallis ? Le général Rochambeau ? [Le premier, à la tête des troupes britanniques, fut défait par le second, à la tête des insurgés américains et de leurs alliés français, lors de la bataille de Yorktown, en 1781]. Le français a peut-être raté de peu l'occasion d'être choisi comme la langue des Etats-Unis, mais sans la France, il n'y aurait pas eu d'indépendance américaine. Et pour ce qui est de "poignarder Washington dans le dos au sujet de la guerre d'Irak", la France n'a fait qu'avertir, avec courage, un vieil et cher ami qu'il commettait une grave erreur. D'autres alliés ne trouvaient rien de mieux que d'acquiescer.

En règle générale, la France et les Français ont une relation plus franche avec les Etats-Unis que leurs voisins d'outre-Manche. Dans leur esprit, l'amour n'a pas à être servile. Une dose raisonnable de critique est même attendue et bienvenue, en tant que signe d'une relation saine, d'égal à égal. Si l'intelligentsia de gauche pensait devoir ridiculiser les Etats-Unis juste après la seconde guerre mondiale, une majorité des Français a embrassé la culture américaine. Beaucoup d'artistes et de cinéastes américains, de Nicolas Ray aux frères Coen, doivent une grande partie de leur réputation mondiale aux critiques de cinéma français. Pour être un bon ami, il faut être indépendant. C'est ce qu'ont toujours pensé les présidents français, de De Gaulle à Chirac. Nicolas Sarkozy est une figure unique dans la politique française, préférant recourir à l'obséquiosité plutôt qu'à un esprit critique salutaire. Pour dire vrai, Nicolas Sarkozy aurait aimé être Américain. Mais ça, c'est une autre histoire...

The Guardian

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Super article!