23.06.2011 | John R. MacArthur | Harper's Magazine
© Dessin de Ballaman paru dans Liberté, Fribourg.
Qu’est-ce que c’est plaisant, le French-bashing ! Avec Dominique Strauss-Kahn (alias “le Perv”), voué aux gémonies des tabloïds américains pour tentative de viol, nous renouons avec un persiflage antifrançais d’une vigueur jamais vue depuis l’époque où Bush et compagnie s’employaient à dénoncer l’autre Dominique – de Villepin – pour son opposition à la guerre en Irak. Mais la différence entre aujourd’hui et 2003, c’est que cette fois même les Américains de gauche s’y mettent. Fin mai, dans le magazine The Nation, Katha Pollitt déclarait ainsi avoir “fini” son histoire d’amour avec la France : “Oh, ç’a été merveilleux tant que ça a duré, moi j’ai craqué pour ton bel Etat providence, avec son superbe système de santé et ses allocations familiales.” Mais, grâce à DSK et à ses sordides défenseurs issus des élites françaises, la journaliste a découvert que de nombreux hommes en France sont des “saligauds imbus d’eux-mêmes” et que certaines Françaises “laissent faire” leurs hommes arrogants par leur “docilité et [leur] mythification de la féminité”.
Tous contre Dominique !
Je ne suis pas en désaccord avec l’opinion que se fait Katha Pollitt de certains intellectuels français qu’elle cite, ni même avec sa critique de ce que les Français considèrent comme des mœurs sexuelles convenables. Certes, on peut beaucoup décrier les prétentions de la France et l’image qu’elle se fait d’elle-même. Pourtant, je suis incapable de me joindre à la liesse générale que suscite le spectacle d’une grosse légume comme DSK forcé de se bouffer en place publique la devise de son pays, Liberté, égalité, fraternité* et désigné à la vindicte par une “justice” américaine carnavalesque.
Entre autres choses, c’est parce l’hypocrisie américaine me dégoûte : je ne supporte pas d’entendre cette ribambelle d’experts et d’avocats se féliciter les uns les autres du prétendu égalitarisme des poursuites pénales lancées aux Etats-Unis. Interrogé sur l’affaire DSK par la radio et la télévision françaises, je me suis vu contraint de décrire la triste réalité : les procureurs élus pleins d’ambitions politiques, les poursuites sélectives, les fuites orchestrées dans la presse pour discréditer les jurés pressentis, et les préjugés profondément enracinés, variant d’un Etat et d’une localité à l’autre, contre les minorités ethniques et les pauvres. La procédure engagée contre un DSK ne suffit pas à elle seule à réparer ces inégalités du système judiciaire américain. Le paradoxe est donc double, quand on sait que le riche couple Strauss-Kahn peut s’offrir les services des plus grands ténors du barreau et des meilleurs détectives pour détruire la réputation de l’accusatrice, une immigrée africaine issue d’un milieu défavorisé.
Mais ce qui me perturbe plus encore que les leçons de morale américaines, c’est la facilité avec laquelle certains journalistes se permettent de juger tout un pays dont ils ne savent pourtant pas grand-chose. Il se trouve que je suis à moitié français par ma mère, et je suis choqué par les stéréotypes et les généralisations qu’on applique à des gens qui n’ont absolument rien en commun avec l’ancien directeur du Fonds monétaire international. Si, en plus de Katha Pollitt, vous lisez les tabloïds, vous vous ferez probablement de la France l’image d’un pays dominé par des libertins coureurs de jupons qui pensent que le droit de cuissage fait partie de la Déclaration des droits de l’homme.
De ce que j’en connais, la société française est bien plus conservatrice (plus centrée sur la vie de famille et plus respectueuse des femmes) que ne l’est la société américaine. Certes, ces personnages misérables, déracinés, obsédés par le sexe, comme on en trouve dans les romans de Michel Houellebecq, constituent un phénomène grandissant en France. Cependant, la fidélité familiale et le souci des enfants restent prépondérants, ce qui explique pourquoi les gouvernements français (de “gauche” comme de “droite”) dépensent tant d’argent dans les services sociaux, afin que tout un chacun puisse faire vivre sa famille, même quand ses revenus sont modestes. Si les Etats-Unis respectaient véritablement les femmes, nous nous inspirerions du modèle français. Car réduire les pressions économiques contribue aussi à réduire les pressions sur les couples et, par là même, à garder les familles unies. J’ai personnellement bénéficié directement de ces politiques françaises favorables à la famille et aux femmes, de cette clinique privée qui nous a permis, à moi ou à ma femme, de passer la nuit gratuitement aux côtés de notre fille malade, du code Napoléon, qui empêcha mon grand-père français de déshériter ma mère et ma tante.
Faux procès et préjugés
Je ne pense pas que ce soit une coïncidence si le taux de divorce est plus bas en France qu’aux Etats-Unis (43 % contre 49 %, d’après le magazine canadien Divorce Magazine) et si les plaintes pour viol, selon les dernières statistiques des Nations unies, étaient en 2009 de 16,6 pour 100 000 en France, contre 28,6 pour 100 000 aux Etats-Unis. En France, la vie sociale continue de tourner autour de la famille, et, si je n’ai pas de statistiques pour le prouver, je sais que les Français restent généralement plus proches de leurs parents. Les repas et les week-ends “en famille*” peuvent d’ailleurs devenir étouffants quand on est habitué à l’attitude informelle, à la fluidité et à l’anomie* [absence d’organisation au sein d’un groupe] à l’anglo-saxonne.
Hasard de la vie, il m’est arrivé de partager une estrade de conférence avec Dominique Strauss-Kahn, et même de l’interviewer. Je ne l’ai pas trouvé très sympathique : c’était un homme évidemment brillant, mais aussi trop évidemment cynique pour faire un homme politique convaincant. De plus, je trouvais absurde qu’un ancien directeur du FMI se présente à la présidence comme candidat du Parti socialiste. Si cet économiste libéral avait représenté la gauche, cela aurait été une insulte pour les authentiques progressistes du monde entier. Pourtant, il y a dans la virulence des attaques contre Strauss-Kahn (dans leur criante francophobie) quelque chose qui me pousse à espérer une conclusion autre que celle étalée dans [les tabloïds] The New York Daily News et le New York Post. Après tout, il reste innocent jusqu’à preuve du contraire. Non ?
Tous contre Dominique !
Je ne suis pas en désaccord avec l’opinion que se fait Katha Pollitt de certains intellectuels français qu’elle cite, ni même avec sa critique de ce que les Français considèrent comme des mœurs sexuelles convenables. Certes, on peut beaucoup décrier les prétentions de la France et l’image qu’elle se fait d’elle-même. Pourtant, je suis incapable de me joindre à la liesse générale que suscite le spectacle d’une grosse légume comme DSK forcé de se bouffer en place publique la devise de son pays, Liberté, égalité, fraternité* et désigné à la vindicte par une “justice” américaine carnavalesque.
Entre autres choses, c’est parce l’hypocrisie américaine me dégoûte : je ne supporte pas d’entendre cette ribambelle d’experts et d’avocats se féliciter les uns les autres du prétendu égalitarisme des poursuites pénales lancées aux Etats-Unis. Interrogé sur l’affaire DSK par la radio et la télévision françaises, je me suis vu contraint de décrire la triste réalité : les procureurs élus pleins d’ambitions politiques, les poursuites sélectives, les fuites orchestrées dans la presse pour discréditer les jurés pressentis, et les préjugés profondément enracinés, variant d’un Etat et d’une localité à l’autre, contre les minorités ethniques et les pauvres. La procédure engagée contre un DSK ne suffit pas à elle seule à réparer ces inégalités du système judiciaire américain. Le paradoxe est donc double, quand on sait que le riche couple Strauss-Kahn peut s’offrir les services des plus grands ténors du barreau et des meilleurs détectives pour détruire la réputation de l’accusatrice, une immigrée africaine issue d’un milieu défavorisé.
Mais ce qui me perturbe plus encore que les leçons de morale américaines, c’est la facilité avec laquelle certains journalistes se permettent de juger tout un pays dont ils ne savent pourtant pas grand-chose. Il se trouve que je suis à moitié français par ma mère, et je suis choqué par les stéréotypes et les généralisations qu’on applique à des gens qui n’ont absolument rien en commun avec l’ancien directeur du Fonds monétaire international. Si, en plus de Katha Pollitt, vous lisez les tabloïds, vous vous ferez probablement de la France l’image d’un pays dominé par des libertins coureurs de jupons qui pensent que le droit de cuissage fait partie de la Déclaration des droits de l’homme.
De ce que j’en connais, la société française est bien plus conservatrice (plus centrée sur la vie de famille et plus respectueuse des femmes) que ne l’est la société américaine. Certes, ces personnages misérables, déracinés, obsédés par le sexe, comme on en trouve dans les romans de Michel Houellebecq, constituent un phénomène grandissant en France. Cependant, la fidélité familiale et le souci des enfants restent prépondérants, ce qui explique pourquoi les gouvernements français (de “gauche” comme de “droite”) dépensent tant d’argent dans les services sociaux, afin que tout un chacun puisse faire vivre sa famille, même quand ses revenus sont modestes. Si les Etats-Unis respectaient véritablement les femmes, nous nous inspirerions du modèle français. Car réduire les pressions économiques contribue aussi à réduire les pressions sur les couples et, par là même, à garder les familles unies. J’ai personnellement bénéficié directement de ces politiques françaises favorables à la famille et aux femmes, de cette clinique privée qui nous a permis, à moi ou à ma femme, de passer la nuit gratuitement aux côtés de notre fille malade, du code Napoléon, qui empêcha mon grand-père français de déshériter ma mère et ma tante.
Faux procès et préjugés
Je ne pense pas que ce soit une coïncidence si le taux de divorce est plus bas en France qu’aux Etats-Unis (43 % contre 49 %, d’après le magazine canadien Divorce Magazine) et si les plaintes pour viol, selon les dernières statistiques des Nations unies, étaient en 2009 de 16,6 pour 100 000 en France, contre 28,6 pour 100 000 aux Etats-Unis. En France, la vie sociale continue de tourner autour de la famille, et, si je n’ai pas de statistiques pour le prouver, je sais que les Français restent généralement plus proches de leurs parents. Les repas et les week-ends “en famille*” peuvent d’ailleurs devenir étouffants quand on est habitué à l’attitude informelle, à la fluidité et à l’anomie* [absence d’organisation au sein d’un groupe] à l’anglo-saxonne.
Hasard de la vie, il m’est arrivé de partager une estrade de conférence avec Dominique Strauss-Kahn, et même de l’interviewer. Je ne l’ai pas trouvé très sympathique : c’était un homme évidemment brillant, mais aussi trop évidemment cynique pour faire un homme politique convaincant. De plus, je trouvais absurde qu’un ancien directeur du FMI se présente à la présidence comme candidat du Parti socialiste. Si cet économiste libéral avait représenté la gauche, cela aurait été une insulte pour les authentiques progressistes du monde entier. Pourtant, il y a dans la virulence des attaques contre Strauss-Kahn (dans leur criante francophobie) quelque chose qui me pousse à espérer une conclusion autre que celle étalée dans [les tabloïds] The New York Daily News et le New York Post. Après tout, il reste innocent jusqu’à preuve du contraire. Non ?
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