mercredi 23 janvier 2013

L'élite face à son miroir

Du temps de George W. Bush, au moment de l'invasion de l'Irak et de la prise de position critique du président Chirac, un sport national avait vu le jour aux Etats-Unis. On appelait ça le «french bashing» - littéralement le dénigrement de la France. Tout ce qui venait de Paris était systématiquement critiqué, méprisé, éreinté, réprouvé.

 Est-ce le principe selon lequel la mode américaine finit toujours par débarquer ici ? Toujours est-il que la pratique sportive susdite a gagné les esprits d'une partie de l'élite nationale. A les en croire, tout ce qui vient de France est à jeter aux poubelles de l'histoire. 

Cette petite musique sournoise s'insinue par toutes les portes du débat public. Chaque semaine, dans son éditorial du Point, Franz-Olivier Giesbert dénonce«notre grande maladie nationale : l'autisme» qui cadenasse notre pays «dans l'archaïsme». Son alter ego de l'Express, Christophe Barbier, pense et écrit la même chose. De retour d'Asie, l'essayiste Philippe Labro explique : «La France manque d'électricité, de nerf, d'énergie, de stimulation.» Bref, elle est nulle. 

Ce ne sont là que quelques exemples, mais ils illustrent un phénomène ressemblant à l'exil intérieur, qui est au civisme ce que l'exil fiscal est au devoir du contribuable. 


On reproche parfois aux petites frappes de banlieues de vomir la Marseillaise, de n'exhiber le drapeau national que pour cracher dessus, et de ne jurer que par les valeurs héritées d'une version rabougrie de Hollywood : le fric, le machisme, la castagne. En y mettant les formes et l'apparence de la bonne éducation, des esprits se voulant émancipés appliquent les mêmes préceptes. 

Il suffit d'écouter les porteurs d'eau du Medef ou les prétendus experts du néolibéralisme flamboyant. Ils passent le plus clair de leur temps à tirer à vue sur le «modèle social» à la française, cette monstruosité héritée du Conseil national de la Résistance (CNR). Ils s'enthousiasment pour tout ce qui vient d'ailleurs, avec une préférence prononcée pour ce qui se fait de pire. 

Naguère, ils en tenaient pour le «modèle japonais», lorsqu'il était de bon ton de dire que les robots allaient remplacer les hommes. Aujourd'hui, ils encensent le «modèle allemand» en se gardant de rappeler qu'il s'agit d'une machine à créer des pauvres. Pas un jour sans qu'un journal ne somme François Hollande de devenir au plus vite le Gerhard Schröder à la française, autrement dit le clone de celui qui a mis la social-démocratie allemande au fond du trou. Les mêmes idéalisent le «modèle anglo-saxon», symbole de ce communautarisme de l'argent qui est leur marque de fabrique. 

Mais jamais on ne les entendra insister sur les atouts et les originalités d'un pays qui n'est tout de même pas un pion de seconde catégorie. Qu'il soit affaibli, nul n'en doute. Qu'il soit en voie de régression, c'est évident. Mais, si tel est le cas, c'est d'abord et avant tout en raison d'une classe dirigeante qui a choisi le camp de la démission et du renoncement. Finalement, l'élite voit la France à son image, et elle n'est pas reluisante. 

http://www.marianne.net/L-elite-face-a-son-miroir_a225854.html

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