vendredi 12 juillet 2013

Le New York Times et la « morosité française » : la guerre des chroniqueurs

La France est morose, c’est grave docteur ? Deux chroniqueurs du New York Times se sont penchés à 48 heures d’intervalle, sur l’état de notre malheureux pays, et en ont tiré des conclusions opposées !

Photo noir et blanc pour Maureen Dowd(capture d’écran)
Maureen Dowd, la chroniqueuse vedette en matière de politique intérieure américaine, visiteuse régulière de Paris, a tiré la première sur un air de Françoise Sagan, sous le titre : « Adieu à l’ancien monde, bonjour tristesse », ces deux derniers mots en français dans le texte.
Elle a fait le tour de Paris, de la Fashion Week à Versailles au Rostand, le café qui fait face au jardin du Luxembourg, cité Catherine Deneuve et François Dubet, ainsi que l’incontournable Claudia Senik, professeur à l’Ecole d’économie de Paris et à la Sorbonne, « devenue la coqueluche des médias avec ses recherches sur le malheur français » (et que Rue89 avait interviewée en avril dernier).
Sa conclusion assez sombre, résumée par Courrier international :
« Les Français sont les champions de la déprime, estime cette éditorialiste américaine. Un tel état d’esprit pessimiste provient non seulement d’une actualité morose, mais aussi d’une façon bien hexagonale de voir la vie. »

France profonde


Le « malaise glorieux » de Roger Cohen(capture d’écran)
Voilà que deux jours plus tard, dans les mêmes pages « Op-Ed » (opinions & éditoriaux), paraît une chronique de Roger Cohen, vieux routier de la politique étrangère, qui semble prendre le contre-pied de sa consœur, faisant de cette « morosité » une force.
Son article est daté de Raphèle-les-Arles, en Camargue, alors que celui de Maureen Dowd était daté de Versailles, il ne cite aucune star de la sociologie, et plonge dans ce qu’il appelle, là aussi en français dans le texte, la « France profonde ».
On ne la lui fait pas, à Roger Cohen, sur la morosité française. Il cite à l’appui un auteur qui avait déjà tout écrit en 1997 sur le « doute français » : lui-même, alors qu’il était correspondant du New York Times en France. Son article de l’époque dit à peu près la même chose que Maureen Dowd aujourd’hui, et il en tire la conclusion que la morosité est « aussi française que la monarchie britannique »...
Et pour bien appuyer la différence avec sa collègue et néanmoins chroniqueuse rivale de la même page, Roger Cohen cite un éleveur de taureaux de Camargue, qui n’est autre que l’oncle de l’épouse de son fils !

« Dans la vie, il ne faut pas s’emmerder »

Emile Trazic a une philosophie qui se retrouve en bon français dans le New York Times :
« Dans la vie, il ne faut pas s’emmerder » (en anglais ça donne : « In life, don’t take any crap »).
La conclusion de Roger Cohen vaut son pesant de New York Times du dimanche :
« Il vaut mieux se sentir malheureux qu’hypocrite, mal à l’aise que naïf – et surtout mieux vaut être morose que plein d’illusions. »
Entre le regard condescendant sur la « tristesse » française face au monde qui n’est plus, et celui, exagérément optimiste sur la morosité comme trait de caractère normal, on n’est pas obligé de choisir. Surtout quand on ne se reconnait ni dans l’un, ni dans l’autre.
Mais le « malade » français est suffisamment intrigant pour que l’on se penche sur son sort avec autant d’attention et d’affection. Voilà au moins de quoi nous faire sortir de notre morosité nationale un instant pour en (sou)rire.
http://www.rue89.com/2013/07/12/new-york-times-morosite-francaise-guerre-chroniqueurs-244192

Cette humeur revêche est plus une forme robuste de réalisme qu'un signe de malaise. C'est l'amertume de la sagesse. C'est un clin d'œil aux opinions de Hobbes, qui disait que la vie d'un homme, dans l'ensemble, est "solitaire, pauvre, cruelle, brutale et brève".

Rien ne surprend, rien ne choque (surtout dans le domaine du mariage et du sexe), et en fait rien ne déçoit vraiment. Loin d'être morose, l'attitude française manifeste une franchise tonifiante. Aucun autre peuple ne sait aussi clairement hausser les épaules. Aucun autre n'est autant l'objet de tant de romantisme alors qu'il est lui-même si peu romantique. Aucun autre n'intériorise aussi pleinement l'idée qu'en fin de compte nous sommes tous morts.

N'empêche, la morosité n'est qu'un petit travers dans un pays où la médecine est superbe, où l'éducation fonctionne, un pays d'une immense beauté, dont les vins sont les seuls dignes d'être bus, dont l'armée fait bien son boulot au Mali, où les familles sont solides et qui s'appuie sur la sagesse pragmatique de la France profonde*. Le malaise et l'ennui* sont à la France ce que le dynamisme est à l'Amérique : un emblème arboré avec fierté.

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