Impatient de combattre en France
Le commerce de la fourrure avait permis de nombreux mariages mixtes. Encore aujourd’hui, de nombreux Amérindiens portent des noms de famille d’origine française. C’est mon cas. Au moment de la première guerre mondiale, certains se sont donc dit « allons en France ». Il y a même un soldat de White Earth, la réserve dont je suis originaire, William Hole-In-The-Day, qui avait déjà pris part à la guerre hispano-américaine (1898) et qui était tellement impatient de combattre en France qu’il est parti au Canada pour s’y enrôler début 1917, avant que les Etats-Unis n’entrent en guerre. D’autres considérations ont pu entrer en jeu au moment de rejoindre l’armée, telles que la gêne à l’idée de se retrouver seul avec les femmes et les enfants si l’on n’allait pas se battre…
Nombre de soldats amérindiens sont revenus de la guerre bardés de décorations. Au cours de mes recherches, je n’ai trouvé aucune pièce d’archive montrant qu’un soldat amérindien avait été sanctionné pour son manque d’engagement, avoir voulu déserter, etc. Une camaraderie avec les Blancs aux côtés desquels ils avaient combattu s’est aussi nouée, faisant naître un véritable sentiment d’égalité entre les races.
Le retour a néanmoins été embarrassant pour les autorités américaines. Car ces soldats rentraient dans une réserve fédérale, un territoire occupé par un pays qui ne les reconnaissait pas en tant que citoyens. Et donc, en 1919, le Congrès a adopté une loi qui accordait les pleins droits civiques aux vétérans amérindiens qui en faisaient la demande.
Aucun ne l’a fait, car chacun estimait sans doute ne pas avoir à quémander. Il a donc fallu attendre 1924 avant que la pleine citoyenneté ne soit accordée à tous, sans aucune formalité administrative. Ce délai s’explique sans doute par le fait que le lobbying mené à Washington visait d’abord à améliorer les conditions de vie dans les réserves, augmenter les rations, combattre la corruption, arrêter le détournement de fonds.
Aujourd’hui, les Amérindiens et leurs institutions entretiennent la mémoire des vétérans. La réserve de White Earth a construit un mémorial pour les soldats morts au combat. Les Américains dans leur ensemble portent peu d’attention à la première guerre mondiale, et a fortiori à la participation amérindienne dans ce conflit, mais cela pourrait changer au cours des prochaines années, lorsque, en 2017, débuteront les commémorations de l’entrée en guerre des Etats-Unis.
Gerald Vizenor, est né en 1934 à Minneapolis puis élevé dans la réserve de White Earth (Minnesota), Gerald Vizenor est un poète et écrivain amérindien anishinaabe. Il est professeur émérite à l’université de Californie, Berkeley. Son plus récent roman, Blue Ravens (“Corbeaux bleus”, Wesleyan University Press, 300 pages, 18 euros, non traduit), raconte la vie de soldats de deux frères, également originaires de White Earth, qui découvrent la France à la faveur de la Grande Guerre. En France, il a fait paraître le roman Crâneurs (Editions du Rocher, 2007)
http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/11/14/les-amerindiens-dans-la-grande-guerre_4523992_3232.html#ZLxjkieTz6wMYW53.99
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire