L'interventionnisme étatique prôné par le président américain pour relancer l'économie rappelle les discours de son homologue français. Une idée qui ne déplaît plus à la population.
Avez-vous remarqué que le discours de Barack Obama ressemble chaque jour un peu plus à celui du président français ? Lorsqu'il déclarait, le jour de son investiture, que l'heure n'était plus à se demander si le gouvernement était trop gros ou trop petit, il semblait faire écho à l'éclectisme philosophique de Nicolas Sarkozy, qui peut prendre la défense des marchés un jour et plaider le lendemain pour les champions publics de l'industrie. En qualifiant de "honteux" et d'avide le comportement de Wall Street, le président américain n'a fait que répéter ce que les Français pensent depuis toujours et s'est inscrit dans le droit-fil des récents propos de Nicolas Sarkozy, pour qui il serait "insensé" de croire que les marchés ont toujours raison. En soutenant le principe du Buy American [acheter américain] pour que les milliards de dollars que le gouvernement investira suite au plan de relance de l'économie profitent aux entreprises nationales, l'administration Obama reprend une vieille tradition française de "patriotisme économique". Et, quand le nouveau président américain parle de limiter à 500 000 dollars [387 000 euros] le salaire des dirigeants des sociétés financières renflouées par l'Etat, il leur impose une réduction drastique que Sarkozy a déjà obtenue en janvier, lorsqu'il a convaincu les principaux banquiers français de renoncer publiquement à leurs bonus.
Le discours et les décisions de Barack Obama montrent à quel point le climat a changé au cours des derniers mois. Jusqu'à la crise financière de l'automne 2008, ce genre de plaidoyer en faveur du protectionnisme et contre les milieux d'affaires était surtout l'apanage de l'extrême gauche, et il n'était pas question de remettre en question l'idée que l'affaire de l'Amérique, c'est précisément de faire des affaires. Aujourd'hui, les spécialistes réexaminent les relations entre l'Etat et le secteur privé avec une ardeur qu'on ne leur avait pas vue depuis que Ronald Reagan avait déclaré que "le problème, c'est le gouvernement". Le plan de relance de près de 1 000 milliards de dollars actuellement examiné au Congrès s'inscrit dans le débat sur le rôle que devra désormais jouer le gouvernement fédéral dans ce qui a été pendant des décennies le domaine réservé des intérêts privés. Et, s'il n'est pas possible de savoir précisément de quoi demain sera fait, on voit néanmoins dès à présent s'esquisser les contours d'un nouvel ordre économique.
Une des conséquences les plus durables de cette crise devrait être un glissement continu vers ce qu'on pourrait appeler une forme de gouvernance à l'européenne, mêlant réglementation et paternalisme. Déjà le gouvernement monte en puissance, les projections des dépenses publiques montrent que les Etats-Unis devraient se rapprocher des moyennes européennes dans les deux ans à venir. Pour être plus précis, en l'absence de secteur privé solide (et de confiance du public envers les milieux d'affaires), le gouvernement américain va être contraint de prendre la relève et d'engager fermement des entreprises dans diverses voies. Il devra encadrer certaines industries (notamment les secteurs banquier et automobile), en privilégier d'autres, comme les énergies propres, en leur offrant des prêts et des crédits et transformer divers secteurs – comme la santé ou les retraites – en quasi-chasses gardées. Selon Ken Rogoff, économiste à Harvard, les Etats-Unis devraient se diriger vers un "système de redistribution plus centralisé, comme en Europe", avec une plus grande considération pour l'environnement, plus de réglementation et plus de protectionnisme. "Je considère les élections américaines de 2008 comme un tournant vers le modèle européen", ajoute-t-il.
L'opinion publique américaine semble elle aussi favorable à une politique permettant au gouvernement de pallier les déficiences du secteur privé. Un récent sondage Gallup révèle que les Américains n'ont jamais eu aussi peu confiance dans les institutions financières depuis 1985 (date à laquelle l'institut a commencé à leur poser la question). Aujourd'hui, 68 % des Américains souhaiteraient voir diminuer l'influence des grandes entreprises, contre 52 % en 2001. Une autre étude indique que 69 % des Américains pensent que le gouvernement devrait faire davantage pour aider les personnes les plus fragiles, alors qu'ils n'étaient que 57 % à penser la même chose en 1994. Ainsi, outre l'extension du filet de sécurité sociale, le gouvernement devra assumer davantage de responsabilités pour inciter les entreprises à réaliser des objectifs jugés bénéfiques pour l'ensemble de l'économie du pays.
Il ne s'agit donc pas d'imiter l'étatisme qui permet à certains gouvernements européens de tenir fermement les leviers de certaines entreprises privées. Mais ce n'est qu'une question de degré. Le plan de sauvetage des trois grands constructeurs automobiles de Detroit était essentiellement une mesure protectionniste prise aux dépens des fabricants étrangers, et elle n'est pas sans rappeler la décision très controversée, prise en 2004 par Nicolas Sarkozy alors qu'il était ministre des Finances, pour protéger les intérêts du géant Alstom. Stephen Roach, économiste en chef de Morgan Stanley, explique qu'une récession prolongée ne pourra que renforcer "l'intervention de l'Etat dans l'économie", notamment sous la forme du protectionnisme. "Mais l'Amérique n'est pas la France, ajoute-t-il. Nous ferons ça à notre manière – mais, quoi qu'il arrive, le gouvernement fort est de retour."
(...)
Michael Freedman et Tracy McNicoll
Newsweek
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