dimanche 2 mai 2010

Ces Français qui voulaient faire la révolution aux Etats-Unis

(...)

« Si les travaux historiques bien informés mentionnent, de manière souvent assez détaillée, le rôle joué dans l'histoire sociale des Etats-Unis par les immigrés de diverses origines (Allemands, Irlandais, Italiens, Juifs, Bohémiens, Finlandais ou encore Russes), ils restent en général désespérément muets sur celui des Français. »

Michel Cordillot connaît bien son affaire. Professeur à l'université Paris-VIII, il est un grand spécialiste des luttes politiques en général, et surtout de l'Amérique contestataire. C'est lui qui a coordonné et rédigé « La Sociale en Amérique », paru en 2002, sous-titré « Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux Etats-Unis, 1848-1922 ».

Ils ont été des dizaines de milliers de Français, Belges et Suisses à participer au peuplement post-industriel du nouveau monde. Sans compter les Canadiens de langue française contraints d'aller travailler « aux Etats » pour nourrir leurs familles.

Dans ce nouvel ouvrage, Cordillot raconte une histoire particulière : non pas celle de tous les immigrés francophones, mais celle des leurs qui militaient pour une révolution anarchiste, à une époque où le capitalisme américain était encore plus sauvage qu'aujourd'hui.

On a peut-être du mal à le croire aujourd'hui, mais ces anarchistes français étaient partis nombreux en Amérique du Nord. Ils voulaient renverser les rapports de force entre oppresseurs et opprimés et, accessoirement, libérer les femmes de leur joug. Au tournant du siècle, cependant, ils s'aperçoivent que :

« […] L'activisme anarchiste est voué à l'échec parce que trop isolé, et que seule une action collective peut produire ces améliorations immédiates dont les mineurs ont tant besoin. »

D'investissement syndical en création de coopératives et autres secours mutuels, de débats théoriques en collaboration et confrontation continue avec d'autres révolutionnaires américains, la grande majorité de ces militants se rendent à l'évidence : l'action politique, donc électorale, est essentielle pour changer la vie.

La religion omni-présente rend fous les Français

Au sein du nouveau Parti socialiste américain, créé en 1901, ils veulent conserver leur place spécifique de francophones. Certaines caractéristiques de la société américaine les rendent fous, comme cette manie de tout voir au travers du prisme religieux. En outre, bien peu des leurs entendent correctement l'anglais.

Ils sont aussi terriblement nostalgiques des débats théoriques très français. Ils reçoivent quelques journaux de France, mais surtout, ils ont leur propre presse. Plusieurs titres se succèdent, et celui qui dure le plus longtemps est « L'Union des travailleurs » : quinze ans de longévité, jusqu'à la Grande Guerre.

Le livre met en exergue l'histoire de Louis Goaziou, originaire des monts
d'Arrée en Bretagne, débarqué à Philadelphie en 1880 à l'âge de 16 ans,
locuteur de breton. Grâce à l'action communautaire, politique et journalistique proprement stupéfiante de cet ancien mineur devenu journaliste et imprimeur, Michel Cornillot et d'autres historiens ont pu chroniquer l'évolution politique et la vie quotidienne des francophones installés aux Etats-Unis.

Avec la Première Guerre mondiale s'achève la saga des révolutionnaires français du nouveau monde. Contrairement à leurs camarades d'origine allemande, bien plus nombreux dans les instances dirigeantes du parti et des syndicats, les francophones n'ont pas pu se résigner à rester pacifistes et neutres.

Beaucoup sont rentrés au pays. D'autres, comme Goaziou, ont poursuivi autrement leur œuvre militante, s'intégrant, à leur façon, dans la société américaine. Leurs descendants ont fini par oublier (ou voulu oublier) que leur ancêtre était un anar, un rouge, un socialiste bien avant la révolution russe.

(...)

Parce que les amis de Goaziou avaient en tête de combattre les injustices générées par le capitalisme sauvage, ils ont été réticents envers les syndicats de métier, corporatistes, attachés à défendre les intérêts particuliers d'un groupe, au détriment d'une vraie révolution sociale.

► « Révolutionnaires du nouveau monde » de Michel Cordillot - Editions Lux - 212 p - 13 euros

http://www.rue89.com/american-ecolo/2010/05/02/ces-revolutionnaires-francais-qui-ont-emigre-aux-etats-unis-149791

Aucun commentaire: