Plutôt que de stigmatiser l'antisémitisme supposé des Français, les médias américains feraient mieux de s'inspirer de leurs réactions face au drame de Toulouse, suggère cette journaliste.
Euny Hong | The Daily Beast
Après la fusillade de l'école juive Ozar Hatorah, à Toulouse, une partie des médias américains s'est montrée prompte à citer l'incident comme une preuve de l'antisémitisme croissant en France. Sur le site internet du magazine néo conservateur Commentary, par exemple, Jonathan Tobin soutient que la tuerie reflète "le renouveau de l'antisémitisme en Europe et dans le monde entier".
Mais "renouveau" n'est pas le bon terme (L'antisémitisme avait-il disparu ? Quand ? Où ?) Les Français ont conscience que l'antisémitisme est un élément permanent de leur culture et ils ont pris des mesures fortes - à certains égards, plus fortes qu'en Amérique.
Il faut éviter l'écueil selon lequel les actes de violence formeraient un baromètre fiable de l'antisémitisme français. Le dernier pic de cette magnitude remonte à l'attentat contre la synagogue de la rue Copernic, à Paris, en 1980, qui fit quatre morts et 40 blessés. L'année 1980 constituerait-elle un marqueur de ce que Jonathan Tobin appelle le "spectre de l'antisémitisme européen" ? Pourquoi cette année-là ? Pourquoi pas avant, ou après ?
L'existence d'incidents antisémites en France est beaucoup moins révélatrice que la façon dont les Français y réagissent. Et selon certains aspects, leur réaction a de quoi être enviée.
Dans un premier temps, les médias français n'ont pas hésité à conclure que le tueur était antisémite. En comparaison, les médias américains font preuve d'une lenteur exaspérante à utiliser ce terme. Je me souviens clairement de la fusillade dans une garderie juive à Los Angeles, en 1999. A l'époque, les journalistes avaient simplement expliqué qu'un homme avait ouvert le feu dans une école, laissant entendre que si l'établissement ciblé était juif, c'était un hasard. En tant que journaliste américaine, je me rends compte, à contrecœur, que c'est là la manière correcte de traiter l'information, pour éviter de spéculer sur les intentions du tueur.
Et pourtant, je ne peux m'empêcher d'admirer la réaction de la presse française. Au bout de quelques minutes à peine, presque toutes les grandes sources d'information françaises ont déclaré que le motif du tueur était clairement antisémite - même si son identité était encore inconnue, même s'il était aussi l'auteur présumé du meurtre de trois militaires français non juifs. On pourrait même dire que la presse hexagonale pèche plutôt par anticipation d'antisémitisme, l'histoire ayant montré les dangers d'être trop timoré ou de trop s'attacher aux preuves.
Les Américains devraient également prendre note d'une autre caractéristique de la communauté juive française : le premier réflexe des médias français a été de recueillir la réaction du grand rabbin. Le pays que Charles de Gaulle qualifia d'ingouvernable parce qu'il possède 246 variétés de fromages a réussi à créer une telle fonction.
Elu par la communauté juive de France, le grand rabbin incarne l'idée de faire valoir les intérêts d'un groupe religieux dans un Etat laïc, en réduisant autant que possible les contradictions. Aussi, après une tragédie comme celle de Toulouse, les médias et les responsables politiques savent à qui s'adresser. Tous les Juifs français ne sont pas nécessairement d'accord avec lui, mais, au moins, le grand rabbin les représente, et il est reconnu par l'Etat. Je me rends compte que l'existence d'un grand rabbin aux Etats-Unis est aussi improbable que celle de cartes d'identité.
Les Américains devraient reconnaître que l'antisémitisme en France n'est pas un "spectre". Les Français ont parfaitement conscience de son existence et ont pris des mesures qu'il serait impossible de mettre en œuvre aux Etats-Unis.
http://www.courrierinternational.com/article/2012/03/22/face-a-l-antisemitisme-les-francais-reagissent-de-facon-exemplaire
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