(...) Or l'idée élémentaire qui veut que l'Europe soit un échec est aussi dangereuse qu'erronée. La réalité est beaucoup plus complexe. Il est certain que l'Europe est en plein marasme économique. Sans tenir compte de la crise actuelle, le droit du travail y est souvent trop rigide, ce qui fait que les entreprises répugnent d'emblée à embaucher. Par conséquent, les taux de chômage restent obstinément élevés, surtout chez les jeunes. Et l'Etat providence européen s'est montré trop généreux, engendrant des problèmes budgétaires à long terme, alors que la génération des baby-boomers arrive à l'âge de la retraite.
Mais il est absurde de mépriser l'Europe. Après tout, par habitant, la Norvège est plus riche que les Etats-Unis. De plus, selon des chiffres du Bureau américain des statistiques de l'emploi, le PIB par habitant en France représentait 64 % de son équivalent américain en 1960. Il a atteint les 73 % en 2010. Zut alors ! Les socialistes nous rattrapent ! Et le tout sans se fatiguer. Toujours d'après le Bureau des statistiques de l'emploi, les salariés américains ont passé en moyenne 1 741 heures sur leur lieu de travail en 2010. En France, ce chiffre était de 1 439 heures. Si l'Europe était aussi anticapitaliste que le pensent les Américains, ses entreprises s'effondreraient. Or on trouve 172 sociétés européennes parmi les 500 plus puissantes recensées par Fortune, pour seulement 133 américaines.
Dans certains secteurs clés, l'Europe a raison. Elle s'est attaquée plus sérieusement que les Etats-Unis aux questions de l'énergie et du changement climatique. Elle connaît désormais une plus grande mobilité sociale que les Etats-Unis, en partie grâce à de robustes systèmes d'éducation publique. Les Etats-Unis affichaient autrefois le plus fort taux de diplômés du monde ; aujourd'hui, la France et la Grande-Bretagne sont devant nous. En 1960, en France, l'espérance de vie ne dépassait que de quelques mois celle des Etats-Unis, d'après l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE). En 2009, les Français vivaient presque trois ans de plus que nous.
On ne peut certes que constater la rigidité de l'Europe en matière d'emploi et sa léthargie face à la crise économique actuelle. Ses problèmes existent bel et bien. Mais en épousant l'idée caricaturale d'une Europe synonyme d'échec, nous ne faisons que trahir notre propre ignorance – et notre chauvinisme.
http://www.courrierinternational.com/article/2012/01/24/pourquoi-europe-est-un-gros-mot
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